• Françoise Garteiser

    Sécurité bancaire :

    Qui sera le dindon de la farce ?


    - Aujourd'hui, cher lecteur, sera une chronique un peu spéciale... avec un extrait exclusif du dernier rapport spécial édité par Simone Wapler (plus de détails à ce sujet en fin d'article).


    Je ne vous apprends rien en vous disant que Simone est de longue date très attentive à la sécurité et aux risques qui planent sur les épargnants individuels en France : après l'assurance-vie et les banques, elle a tourné récemment une petite vidéo sur le sujet... et a donc décidé de consacrer un dossier complet à la sécurité bancaire dans le cadre de sa lettre d'investissement.


    Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ses conclusions sont implacables. Je lui laisse la parole...


    - "Si vous avez 20 000 euros et que vous cherchez à les placer intelligemment, vous êtes tout seul. La gestion privée ne vous ouvrira pas ses portes à moins de 100 000 euros. A ce prix-là vous aurez le stagiaire et le choix entre trois fonds aux noms de fleurs, et vous n'imaginez pas les honoraires qu'aura facturés l'agence de communication pour accoucher de ces trois noms ridicules...


    Maintenant, sachant que 94% des dépôts bancaires sont inférieurs à 100 000 euros et que le patrimoine moyen d'un Français en 2010, immobilier y compris, est de 150 000 euros, votre 'conseiller financier' de quartier est la plus grande éminence financière qu'il vous sera donné de rencontrer.


    Je prends le pari avec vous. Allez demain dans votre banque de détail et posez la question : comment puis-je protéger mon argent dans le cas où une grande banque serait en difficulté et que la Zone euro éclaterait ? Livret, Assurance-Vie et PEA seront ses meilleures réponses.


    Pourtant, dans ces trois cas, votre épargne est 'intermédiée', la banque (ou bancassureur) reste votre risque de contrepartie :


    - Vos dépôts ne sont plus votre argent mais une créance que vous avez vis-à-vis de votre banque.


    - Un contrat en euro ou un livret A est essentiellement investi en obligations de l'Etat français.


    - Un contrat en unités de compte est une créance que vous avez vis-à-vis de votre bancassureur à hauteur de la dernière valorisation de votre ligne.

    En cas de panique sur la dette française, les banques seront priées de se montrer très obligeantes vis-à-vis de leur Etat de tutelle et d'utiliser vos dépôts dans le sens du bien commun.


    Pourquoi tous les conseillers financiers de France ne peuvent-il pas vous aider face à la crise ? Tout simplement parce que la plupart des risques rencontrés ont été considérés comme négligeables par les PDG des banques, leurs directeurs, leurs bras droits et stratégistes, les cadres et votre conseiller financier... Faillite d'une grosse banque, défaut d'un Etat de la Zone euro, et même éclatement éventuel de l'euro... Autant d'événements dont la probabilité est infime, inférieure aux marges d'erreur des modèles de nos brillants statisticiens. C'est un biais cognitif classique. Ce que nous ne connaissons pas, ce que nous ne voulons pas imaginer n'existe pas.

     

    Je ne saurais prédire l'avenir de l'euro, mais petit à petit, avec la crise de Chypre qui suit celles de la Grèce, l'Irlande, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, et demain la Slovénie, voici que la possibilité de l'éclatement de la Zone euro devient réelle, suffisamment importante pour ne pas être négligée, suffisamment importante pour devoir s'en prémunir... et c'est tout un modèle financier qui devient caduc. Toute une série d'investissements qui étaient auparavant sûrs, devient spéculative. Tout comme l'immobilier américain était considéré sûr... jusqu'à un beau jour de 2008 où l'on se rendit compte que c'était en fait très spéculatif. C'est ici la même histoire qui se répète sauf qu'il s'agit de votre livret A et
    pas de la maison d'un inconnu...


    - La garantie bancaire ? 1 euros garanti réellement pour 880 euros déposés !

     
    Il y a bien la garantie des dépôts bancaires jusqu'à 100 000 euros. Vous l'avez vu avec Chypre, la garantie n'a finalement été respectée qu'à la suite d'un bras de fer.

    En France que se passerait-il ? La garantie s'applique par déposant ET par banque... Si vous avez 90 000 euros aux Banques populaires et autant à la BNP, vos 180 000 euros sont couverts au titre de la garantie des dépôts bancaires, en principe. Au global, le total des dépôts éligibles à la garantie se montent à 1 760 milliards d'euros. Or la trésorerie du Fonds de garantie des dépôts, l'organisme chargé de vous rembourser en cas de faillite de votre banque, était à fin 2010 de deux milliards d'euros. Cela signifie qu'il n'y a qu'un euro disponible pour 880 euros de dépôts garantis. A peine de quoi renflouer une grosse agence. Ne parlons pas de la BNP ou du Crédit Agricole qui ont chacun près de 2 000 milliards d'euros de dettes en por tefeuille.


    Si les garanties de dépôts ne s'actionnent pas, nous verrions s'instaurer des mesures de contrôle des retraits et des mouvements de capitaux à la chypriote pour éviter le bank run massif.


    Finalement, alors que vos économies garantissent les activités spéculatives de votre banque, personne ne garantit vraiment vos économies. En cas de crise vous serez le dindon de la farce".


    - Comme je vous le disais plus haut, cette analyse est extraite du nouveau rapport spécial offert aux lecteurs de La Stratégie de Simone Wapler : pour le découvrir dans son intégralité, cliquez ici... Et ensuite, n'attendez pas pour prendre quelques précautions élémentaires.


    Même si, par miracle, les autorités réussissent à rééquilibrer le système sans encombre, comme aime à le répéter Simone, "on ne regrette jamais d'avoir pris trop de précautions" !


    Meilleures salutations,

    Françoise Garteiser
    La Chronique Agora


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  • Vendredi 28 juin 2013

    Saccage impérialiste des richesses de l’AfriqueL’agression de l’OTAN contre la Libye (productrice de pétrole), l’intervention de la France au Mali (or et uranium), la construction d’une base militaire étasunienne au Niger (uranium) et l’encerclement de l’Algérie (pétrole et gaz) sont des chaînons de la stratégie qui vise, devant la crise du capitalisme mondial, à intensifier l’exploitation des travailleurs et le pillage des ressources naturelles de l’Afrique.

     

    Le journaliste Dan Glazebrook, qui écrit dans des journaux comme The Guardian, The Independent et The Morning Star, a publié un article dans l’hebdomadaire cairote Al-Ahram Weekly dans lequel il dénonce cette conspiration.

     

    Dan Glazebrook commence par rappeler que l’Occident draine chaque année des milliers de millions de dollars provenant du service de la dette, des bénéfices provenant des investissements et des prêts liés au régime de la corruption des secteurs des bourgeoisies compradores.

     

    Une autre façon de dominer l’Afrique consiste à mettre à sac ses richesses naturelles. On peut citer le cas connu du Congo, où des bandes armées contrôlées par ses voisins ougandais, rwandais et burundais pratiquent à l’est du pays le vol de minéraux pour revendre ces derniers à des entreprises étrangères… qui sont elles-mêmes complices du forfait.

     

    L’Afrique finance également les classes dominantes occidentales en fixant le prix de ses matières premières à des tarifs défiant toute concurrence, mais aussi en versant des salaires misérables aux travailleurs qui s’échinent dans les mines ou aux champs.

     

    En somme, le capitalisme impose au continent africain le rôle de fournisseur de matières premières et de main d’œuvre à bas coûts. Mais, afin que cette situation se perpétue, il fait en sorte que l’Afrique continue d’être pauvre et divisée, les coups d’État et des guerres contribuant largement à cette situation.

     

    Selon Dan Glazebrook, la création en 2002 de l’Union africaine, animée par Mouammar Kadhafi, a soulevé les préoccupations des stratèges occidentaux. Pour Washington, Londres et Paris, le plan de l’Union de créer une banque centrale africaine et une monnaie unique était tout bonnement inacceptable. Pis, il était inconcevable de voir cette même Union développer une charte de défense et de sécurité communes pouvant déboucher sur une force militaire unifiée.

     

    En outre, les États-Unis, face à la récession économique et à la « menace » que constituait déjà à l’époque la Chine, avaient échafaudé les plans pour recoloniser l’Afrique. La création en 2008 de l’Africom, le commandement militaire que le président Bush voulait installer sur le territoire africain, s’inscrit naturellement dans cette démarche. Mais l’Union africaine s’est fermement opposée à ce projet et l’Africom a dû finalement établir son état-major en Allemagne.

     

    La plus grande humiliation pour les États-Unis était de voir Kadhafi élu président de l’Union africaine en 2009 et la Libye devenir le principal soutien de l’organisation panafricaine.

     

    L’Empire ne tolérait bien évidemment pas les propos de l’Union qui vont dans le sens d’un processus d’intégration africaine. Après avoir justifié l’agression contre la Libye avec « un paquet de mensonges encore plus grands que ceux qui ont servi de prétexte à l’invasion de l’Irak », comme l’écrit Glazebrook, l’OTAN a détruit le pays, l’a placé dans les conditions d’autres États africains en faillite, se libérant au passage de son adversaire bien trop fier à son goût en l’assassinant. La guerre contre le colonel Kadhafi a détruit son régime. Mais la paix et la sécurité se trouvent depuis menacées dans toute l’Afrique du nord.

     

    Le dirigeant libyen avait organisé depuis 1998 la communauté des États sahélo-sahariens, centrée sur la sécurité régionale, en bloquant l’influence des milices salafistes et en essayant de pacifier les chefs de tribus touaregs. Avec la chute de Kadhafi, les islamistes radicaux de la région ont fait main basse sur les arsenaux d’armes - avec l’aimable autorisation de l’OTAN - et les frontières méridionales de la Libye se sont disloquées. La première victime de la déstabilisation régionale a été le Mali. L’avancée islamiste, concomitante de l’agression de la Libye, a servi de prétexte à l’intervention militaire française.

     

    L’Algérie se trouve désormais dans le collimateur de l’impérialisme. Elle est aujourd’hui entourée par les islamistes radicaux à l’est (frontière libyenne) et au sud (frontière malienne), où se sont également installées les troupes françaises.

     

    L’impérialisme a des raisons de ne pas pactiser avec l’Algérie, le seul pays d’Afrique du nord encore gouverné par le parti qui a lutté pour l’indépendance (FLN). Alger soutient l’Union africaine, a assumé des positions internationales dignes et, comme l’Iran et le Venezuela, vend son pétrole et son gaz à des tarifs « normaux ».

     

    Ce « nationalisme des ressources » pousse les géants pétroliers occidentaux à ne plus cacher le fait qu’ils « en ont marre de l’Algérie », comme l’écrit le Financial Times. Ce même journal avait, un an avant l’agression de l’OTAN, accusé la Libye du « crime » de protéger ses ressources naturelles.


    Capitaine Martin


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    http://www.notre-europe.eu/011-2141-Partenariat-Euro-Americain-une-nouvelle-approche.html

     

    « L’Europe est (…) vouée à un destin analogue à celui du Canada, c’est-à-dire à être progressivement dépossédée de toute indépendance économique et culturelle à l’égard de la puissance dominante. En fait l’Europe vraiment européenne fonctionne comme un leurre dissimulant l’Europe euro-américaine qui se profile et qu’elle facilite en obtenant l’adhésion de ceux qui en attendent l’inverse exact de ce qu’elle fait et de ce qu’elle est en train de devenir. » Pierre Bourdieu, Vienne, 10 novembre 2000 et Contre-feux 2, Raisons d’Agir, 2001, p.68

     


    Dans ce livre qu’avait voulu Pierre Bourdieu, « Europe la trahison des élites », (2004), je décrivais (p. 72 et suivantes) le processus préparé par la Commission européenne qui confirmait l’affirmation de Bourdieu : créer une zone transatlantique unique. Je fournissais en annexe le long « programme d’action » de la Commission qui décrivait les étapes à réaliser pour y parvenir. Ce document reçut l’aval des deux grands courants du Parlement européen, chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, en ce compris les « socialistes » français. Mais jamais, les médias, dans leur écrasante majorité, n’en ont fait état.


    Le 7 mars 2006, consultant au Parlement européen auprès de la Gauche Unitaire Européenne, je signais une chronique intitulée « Le PET ou la disparition de l’Europe » (dont voici le lien : http://www.jennar.fr/?p=265 ). Le PET signifiait alors « Partenariat Economique Transatlantique ». Puis, c’est devenu le « grand marché transatlantique » (dont traite bien un petit livre de R. Cherenti et B. Poncelet publié en 2011 chez Bruno Leprince).


    A l’évidence, nous sommes confrontés à un projet patronal soutenu depuis plus de dix ans par les libéraux de gauche comme de droite. Après le temps des propositions et des programmations, voici venue l’heure de la mise en oeuvre. Le Parlement européen vient de donner le feu vert à l’ouverture de négociations « en vue d’un accord de l’UE en matière de commerce et d’investissement avec les Etats-Unis ». Une phraséologie qui dissimule mal qu’il s’agit de créer une zone de libre échange très avancée, disons-le tout net, un marché commun, entre l’Union européenne et les USA.


     Même si elle n’a valeur que d’avis, il faut lire la Résolution présentée par le « socialiste » portugais Vital Moreira et adoptée le 23 mai par une majorité de parlementaires censés représenter et défendre les intérêts des peuples d’Europe : http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P7-TA-2013-0227+0+DOC+XML+V0//FR&language=FR

    C’est un texte absolument consternant. Prenons quelques-uns des motifs par lesquels le Parlement justifie la création d’un tel accord.


    D’abord, la tarte à la crème qui a toujours justifié l’alignement et la soumission des pays européens sur l’empire (avec quelques exceptions tellement rares qu’elles confirment largement la pratique courante) : « considérant que l’Union et les États-Unis partagent des valeurs communes et ont des systèmes juridiques comparables ainsi que des normes d’une rigueur analogue, même si elles sont différentes, en matière d’emploi, de protection des consommateurs et de protection de l’environnement »


    Où sont ces fameuses « valeurs communes » dont nous rabâchent les partisans d’une société du chacun pour soi dont les USA offrent le modèle exacerbé et dont la Commission européenne, depuis Delors, se fait le protagoniste ?  Sur l’essentiel, nous différons totalement dans le rapport de la puissance publique avec le religieux. Même si force est d’observer un retour inquiétant de l’obscurantisme dans certains de nos pays, le puissant mouvement de sécularisation des peuples européens demeure une caractéristique dominante qui tranche radicalement avec le déisme ambiant qui sature la vie américaine.

     

    Dans les pays d’Europe ancrés depuis longtemps dans les pratiques démocratiques, l’intérêt général n’est plus dicté par les Eglises.


    Dans ces mêmes pays s’est forgé, au cours de décennies de luttes, un modèle social original qui demeure une caractéristique majeure, même s’il subit depuis une trentaine d’années un processus de démantèlement voulu par les partisans de l’intégration dans le modèle américain.


    Nos systèmes juridiques sont profondément différents. En effet, mis à part l’usage de la common law uniquement dans deux pays, la Grande-Bretagne et l’Irlande – qui seraient ainsi soudainement devenus le modèle général pour toute l’Europe – tous les autres Etats pratiquent ce qu’on appelle parfois le droit romano-germanique et qu’il est plus correct d’appeler le droit continental puisqu’il est également pratiqué à l’est et à l’extrême-est de l’Europe, jusqu’au Japon. Que des parlementaires aient pu adopter une phrase invoquant des « systèmes juridiques comparables » donne la mesure soit de leur soumission, soit de leur ignorance. [i]


    Il y a un fossé entre la conception américaine des relations entre les entreprises privées et les partis politiques et ce qui se pratique dans la plupart des pays d’Europe. Le 23 janvier 2010, la Cour Suprême des Etats-Unis déclarait illégales les limitations imposées aux entreprises dans le financement des campagnes électorales. Désormais, les entreprises pourront, sans la moindre limite, choisir, organiser, financer et faire élire leurs candidats. Alors que dans sa Résolution, le Parlement européen « s’engage à jouer un rôle proactif pour collaborer avec ses homologues américains lors de l’adoption de nouvelles réglementations ». Des homologues transformés en représentants du patronat américain.


    De même, les normes en matière d’emploi, de protection des consommateurs et de protection de l’environnement ne sont en rien comparables puisque dans ces matières, aux Etats-Unis, c’est le primat de l’individu qui s’impose. L’Etat ne prend pas en charge l’intérêt général et laisse aux individus la liberté de se défendre face aux abus en tous genres et de recourir aux tribunaux. Comme l’observe Jean-Luc Mélenchon sur son blog :


    «Les Etats-Unis sont aujourd’hui en dehors des principaux cadres du droit international en matière écologique, sociale et culturelle. Ils ne souscrivent pas à plusieurs conventions importantes de l’OIT sur le droit du travail. Ils n’appliquent pas le protocole de Kyoto contre le réchauffement climatique. Ils refusent la convention pour la biodiversité. Ainsi que les conventions de l’Unesco sur la diversité culturelle. Autant d’engagements qui sont souscrits par les pays européens. Les standards réglementaires états-uniens sont donc dans la plupart des cas moins contraignants que ceux de l’Europe. Un marché commun libéralisé avec les Etats-Unis tirerait donc toute l’Europe vers le bas. » ( http://www.jean-luc-melenchon.fr/2013/05/24/vertige-du-moment-des-faits-et-des-mots/ )


    Nous sommes en fait devant deux conceptions radicalement différentes de la vie en commun.


    Une autre motivation laisse clairement apparaître le véritable objectif d’un tel accord : « considérant que l’Union est convaincue que le développement et le renforcement du système multilatéral sont un objectif essentiel; considérant néanmoins que cela n’exclut pas la conclusion d’accords bilatéraux allant plus loin que les engagements de l’OMC et complétant les règles multilatérales étant donné que les accords régionaux comme les accords de libre échange permettent une plus grande harmonisation des normes et une libéralisation plus poussée qui favorisent le système commercial multilatéral »


    Telle est bien la volonté : aller au-delà des accords en vigueur à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le fameux « cycle de Doha » lancé en 2001 et dont l’objectif était d’imposer au monde encore plus de libéralisation, encore plus de privatisations, encore plus de dérégulation est bloqué. Bloqué par les pays les plus pauvres et les pays émergents confrontés à l’intransigeance de l’UE et des USA, intransigeance exprimée avec zèle par le « socialiste » Pascal Lamy.[ii] Puisque l’OMC n’est plus le cadre approprié pour de nouvelles avancées ultra-libérales, les accords de libre échange offrent la meilleure alternative pour les attentes patronales. C’est ainsi que l’UE tente d’imposer sa loi à l’Inde, aux pays d’Asie du Sud-Est, d’Amérique latine, d’Afrique. Et les USA font de même de leur côté.


    On retrouve, dans la Résolution du Parlement européen, qui a toujours soutenu les négociations à l’OMC, tous les thèmes habituels de ces négociations, c’est-à-dire tous les sujets sur lesquels le patronat des deux rives de l’Atlantique insiste depuis des années dans des cénacles comme la Commission Trilatérale, le Groupe de Bilderberg, le TransAtlantic Business Dialog, le Forum de Davos,… : les droits de propriété intellectuelle (et donc le brevetage du vivant, la bio-piraterie, les OGM…), la liberté d’investir où on veut, comme on veut, ce qu’on veut, sans avoir à tenir compte des législations locales, la mise en concurrence de toutes les activités de services (y compris l’enseignement, la santé,….), l’ouverture des marchés, le démantèlement des « barrières réglementaires », la libre circulation des capitaux, le commerce agricole, le caractère contraignant des termes de l’accord (la Résolution « souligne que ce partenariat doit être ambitieux et contraignant pour tous les niveaux d’administration des deux côtés de l’Atlantique, y compris les autorités de régulation et les autres autorités compétentes »).


    Quand on lit qu’il s’agit d’« harmoniser les normes » dans le cadre d’un accord de libre-échange entre les USA et l’UE, cela signifie très clairement un alignement pur et simple sur les normes américaines. Qui pourrait un seul instant penser qu’il en ira autrement ?


    Sans doute quelques naïfs. Mais surtout les cyniques praticiens de l’enfumage qui brandissent tout à la fois les promesses en termes de croissance et d’emploi et les « garanties » inscrites dans le texte de la Résolution du Parlement européen pour faire accepter l’essentiel : l’ouverture des négociations. Nous savons que le gouvernement « socialiste » excelle en matière d’enfumage (voir l’excellent livre de Laurent Mauduit, L’étrange capitulation).


    L’histoire des négociations commerciales internationales (OMC, zones de libre-échange) nous apprend en effet que les praticiens de l’enfumage recourent à deux procédés : présenter les avantages mirobolants d’un tel accord de libre-échange et introduire des « garanties » dans le mandat de négociation. Des avantages toujours démentis par les faits et des garanties qui ne durent que le temps de l’obtention du mandat de négociation.


    Côté avantages, la Résolution affirme sans rire qu’ « un partenariat transatlantique ambitieux et de grande ampleur en matière de commerce et d’investissement pourrait, une fois complètement mis sur pied, apporter des profits substantiels à l’Union (119,2 milliards d’euros par an) et aux États-Unis (94,9 milliards d’euros par an); considérant que les exportations de l’Union vers les États-Unis pourraient donc augmenter de 28 % et le total des exportations de l’Union de 6 %, hausses qui profiteraient, au niveau de l’Union, tant aux exportateurs de biens et de services qu’aux consommateurs. » Des chiffres qui se fondent sur des postulats contestables s’agissant du nombre et de la valeur des barrières non tarifaires (les réglementations) qui seraient démantelées et de l’ampleur des effets produits par la suppression des droits de douane. Des chiffres qui viennent d’un centre d’études britannique entièrement consacré à la défense des thèses les plus libérales. Des chiffres qui, bien entendu, ne prennent pas en compte le coût humain et social des destructions d’emplois, des « réformes structurelles », de la paupérisation, de la dégradation de la qualité alimentaire et sanitaire de l’alignement sur le modèle américain.


    Côté « garanties », Mme Nicole Bricq, ministre PS du commerce, a des accents pathétiques pour se réjouir de l’inscription de telles « garanties » (http://proxy-pubminefi.diffusion.finances.gouv.fr/pub/document/18/15002.pdf). Et c’est vrai qu’on trouve des paragraphes – qui d’ailleurs sont en totale contradiction avec les motivations énoncées en début de Résolution –  où on nous parle d’exception culturelle, de protection de l’audiovisuel, de protection des données à caractère personnel (qu’on fournit déjà aux USA), des pratiques européennes en matière d’OGM (alors que la Commission européenne n’a de cesse de les autoriser).

     

    Ces « garanties » ne servent qu’à amadouer les plus réticents de la sainte alliance sociaux-démocrates/chrétiens démocrates qui fait la pluie et le beau temps au Parlement européen. Et bien de prétendus socialistes sont tout disposés à se laisser convaincre. Enfin, ces « garanties » servent aussi aux médias toxiques (Le Figaro, Libé, Le Monde, la presse économique, les directeurs de pensée qui sévissent en radio et en télévision) toujours prompts à justifier l’inacceptable pourvu qu’il réponde aux attentes patronales.


    Nul ne s’étonnera que ces prétendues « garanties » inscrites dans la Résolution ne rassurent personne en dehors de ceux qui ne demandent qu’à l’être. Le passé des négociations commerciales internationales rappelle que de telles « garanties » sont vite oubliées par le négociateur unique qu’est la Commission européenne. Car, pendant les négociations, ceux qui sont à la manœuvre, ce sont les représentants des multinationales qui ont leurs grandes et petites entrées à la Commission. Pas les parlementaires. Ceux-ci, les négociations terminées, seront priés d’accepter le résultat final au motif qu’il s’agira d’un compromis. C’est ce qu’a bien compris, par exemple, la Confédération paysanne qui, dans un communiqué du 24 mai, prend les devants et souligne que « la pression des multinationales américaines derrière ce « partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement » n’est plus à démontrer. (…) La boite de Pandore risque de s’ouvrir. Depuis 20 ans, la Confédération paysanne, avec la Via Campesina Europe et international et de multiples partenaires de la société civile, a rejeté les cultures d’OGM, la confiscation des semences, l’importation des viandes bovines hormonées  le poulet désinfecté au chlore et les carcasses de viande bovine trempées dans l’acide lactique pour dissimuler la médiocrité sanitaire des abattoirs américains. Le rejet de l’hormone laitière de Monsanto et le refus de produits animaux issus du clonage sont aussi à notre actif et ne doivent sous aucun prétexte être renégociés. Aucune justification ne peut être admise pour céder sur l’alimentation des Européens et le travail des paysans du continent. »


    Ne pas prendre au sérieux ces « garanties » est d’autant plus indispensable quand on sait que les Etats-Unis exigent qu’aucun sujet ne soit exclu des négociations comme le rappelle Elisabeth Delcamp dans son article sur Mediapart :

    ( http://blogs.mediapart.fr/blog/francoise-elisabeth-delcamp/220413/accord-de-libre-echange-ue-usa-le-partenariat-de-tous-les-dangers ).


    Après le feu vert du Parlement européen, c’est l’organe de décision de l’UE, le Conseil des ministres – c’est-à-dire les 27 gouvernements – qui doit décider du mandat de négociation préparé par la Commission européenne. Ce mandat est important puisqu’il fixe les objectifs et les limites de la négociation pour la partie européenne C’est le Conseil qui ensuite autorise l’ouverture des négociations. Celles-ci seront conduites par celui qui a proposé le mandat de négociation, le Commissaire au commerce international, le très libéral Karel De Gucht.. Il sera l’unique négociateur au nom des 27 Etats membres. En effet, en vertu de l’article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, « Ces négociations sont conduites par la Commission, en consultation avec un comité spécial désigné par le Conseil pour l’assister dans cette tâche, et dans le cadre des directives que le Conseil peut lui adresser. » Le Comité spécial dont il s’agit, autrefois baptisé comité 133 et aujourd’hui comité 207, est un des plus bel exemple de l’opacité qui sévit dans les institutions européennes. Ses travaux sont particulièrement discrets. On a pu relever que ce comité recevait, dans des réunions dites « informelles », pour débattre des négociations à venir ou en cours, les représentants de certains lobbies du monde des affaires. Jamais les organisations syndicales ; jamais les ONG actives dans les domaines des droits humains, du développement ou de l’écologie.


    La décision du Conseil des Ministres est attendue pour le 14 juin. On a compris, après les propos de Mme Bricq satisfaite des « garanties » obtenues et convaincue que cet accord de libre échange est « une chance pour la France »[iii], que le gouvernement français donnera son feu vert. On aura ainsi, une fois de plus, la confirmation que le « socialisme » de Hollande, c’est celui de Pascal Lamy.


    Les négociations commenceront dès juillet.

     

    Raoul Marc JENNAR

    29 mai 2013



     

     

     

    [i] Le système anglo-saxon appelé « common law » s’appuie sur la jurisprudence issue des décisions des tribunaux ; le système continental s’appuie sur la loi décidée par les représentants du peuple.


    [ii] Membre du comité directeur du PS de 1985 à 1994, Commissaire européen au commerce international de 1999 à 2004, directeur général de l’OMC de 2005 à 2013. Connu pour son adhésion aux thèses néo-libérales.


    [iii] Voir l’article de ce ministre « socialiste »publié dans l’organe du patronat Les Echos du 19 mars 2013 :http://www.lesechos.fr/opinions/points_vue/0202647915233-le-partenariat-transatlantique-une-chance-pour-la-france-550252.php

     

     

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    Le peuple est-il en train de se réveiller? Une ville de la banlieue de Barcelone veut cesser de rembourser les prêts du gouvernement

     

    - Géant -Quique Garcia 

     

     

    Le conseil municipal de Badalona, une ville de la banlieue de Barcelone (Catalogne) de plus de 200.000 habitants, a voté une résolution pour rejeter une partie de ses dettes de 31 millions d'euros à l’égard du gouvernement espagnol qu’il juge illégitime, rapporte le journal El Publico. Cette décision n’a pas vraiment de conséquences juridiques, étant donné que le gouvernement local est toujours tenu de payer ses dettes, mais elle est considérée comme un signal politique fort.

     

    Les prêts en question proviennent d’un plan de paiement des contractants établi en 2012 par le gouvernement espagnol, qui avait pour but de régler des arriérés dus par les gouvernements local et régional à des entreprises privées. Les prêts ont été consentis par l’institution de crédit publique ICO et distribués par le réseau de banques commerciales (dans ce cas d’espèces, Caixabanc, Catalunya Banc, Bankia, Banco Sabadell, CAM, Banco Santander, Banesto, Banco Popular, Bankinter, Caja España, Cajamar et BBVA).

     

    Le conseil municipal a estimé que ces prêts étaient illégitimes, parce que ces banques ont emprunté l'argent au taux de 1% auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE) puis elles ont prêté ce qui n’était finalement que de l’argent du gouvernement au taux de 5,54% alors que «l'argent aurait pu aller directement d'un établissement public (la BCE ) à un autre (l’État)».

     

    « Nous devons faire cesser cette escroquerie légale et changer le mécanisme de financement des organismes publics. Nous avons également besoin de nommer des auditeurs pour que les gens sachent quelle partie de la dette est illégitime, et que nous puissions refuser de payer. Ce système de financement est pervers, injuste, et il facilite la dictature financière », a-t-il conclu.

     

    http://www.express.be/business/fr/economy/le-peuple-est-il-en-train-de-se-reveiller-une-ville-de-la-banlieue-de-barcelone-veut-cesser-de-rembourser-les-prets-du-gouvernement/192369.htm

     

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  • | Accueil > « Que Faire ? » > Que Faire ? - n°06 - Février/Avril 2011

     

     

     

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    F comme fascistes, N comme Nazis !

     

    par Cédric Piktoroff


     

    Pour différentes raisons, nombreux sont ceux parmi les journalistes, la classe politique de droite comme de gauche, et jusque dans la gauche radicale, qui pensent que le Front National ne peut plus être considéré comme un parti fasciste. Nous pensons qu’il s’agit là d’une grave erreur. Petit tour des arguments fréquemment rencontrés.


    Pourquoi dire que le FN est fasciste alors qu’il ne s’en revendique ni dans son programme ni dans ses discours ?


    L’erreur la plus répandue aujourd’hui consiste à prendre pour argent comptant la manière dont les fascistes se présentent, autrement dit à identifier davantage le fascisme à ce qu’il dit plutôt qu’à ce qu’il fait. Or, basés sur le rejet des valeurs universelles et l’exaltation des particularismes culturels, les mouvements fascistes sont plus disparates idéologiquement que tout autre mouvement politique. On ne peut donc comprendre leur développement qu’au sein de contextes historiques spécifiques, auxquels ils doivent s’adapter en permanence. C’est pourquoi, dans le développement d’un mouvement fasciste, l’action prime sur la doctrine.
    Pour les Fascistes italiens comme pour les Nazis, les idées ont pu jouer un rôle important à l’étape initiale de leur développement, les amenant à puiser dans chaque culture nationale les thèmes les plus à même de souder un mouvement dans une perspective de réunification, de pureté et de renaissance d’une identité retrouvée autour d’un homme providentiel. Mais pour franchir un cap et avancer vers un mouvement de masse, les pulsions et les passions mobilisatrices (subordination de l’individu à un groupe aux valeurs menacées de déclin, culte du volontarisme, de la violence et du chef…) offrirent davantage de cohésion que les dogmes. Simples outils de circonstance dans leur marche vers le pouvoir, leurs programmes restèrent flous et à géométrie variable [1].

    Il en va de même pour toute nouvelle version du fascisme. Devant œuvrer dans un contexte nouveau, l’héritage d’Hitler et de Mussolini pose un vrai problème pour les fascistes d’aujourd’hui, une filiation trop marquée risquant de les confiner aux marges de la vie politique. Dans l’objectif de faire du FN une véritable force populaire et indépendante, Le Pen insista pour que ses membres ne revendiquent plus ouvertement leur héritage nazi et collaborationniste. C’est cette quête de respectabilité que le FN n’eut de cesse d’affiner, présentant simplement ses militants comme des nationalistes préoccupés par l’immigration et le multiculturalisme : « Ni de droite, ni de gauche, français ! ».

    Comme tout mouvement fasciste, la base sociale principale du FN est la petite bourgeoisie déclassée que la crise plonge dans le désespoir et à laquelle il tente de donner une expression politique. Pour acquérir une audience, il est poussé à s’adapter aux références et aux préoccupations des petits commerçants, médecins, auto-entrepreneurs, petits bureaucrates et autres contremaîtres qu’il espère séduire.

     

    Le rôle de Marine Le Pen aujourd’hui est d’adapter davantage le profil du parti aux exigences du contexte actuel. Quitte à bousculer les vieilles antiennes du FN – sans néanmoins les abandonner – pour mettre l’accent sur des thèmes davantage dans l’air du temps : se référer à l’héritage gaulliste plus qu’à la collaboration, stigmatiser le musulman davantage que le juif, exalter une laïcité conquérante ou afficher une tolérance envers la loi Veil en passant quelque peu sous silence les revendications catholiques intégristes, transformer l’ultra-libéralisme des années 80 en protectionnisme défenseur des salariés nationaux et des services publics, etc. Ces nouvelles références peuvent même devenir une base doctrinale plus adéquate pour les nouveaux militants. Mais ce ravalement de façade ne supprime pas le fascisme, ça le dissimule.


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    S’il veut gouverner, le FN devra tisser des alliances parlementaires. Cela n’altère-t-il pas son projet fasciste originel ?

     

    Bien qu’il leur fallut mettre l’accent à tel ou tel moment sur l’une ou l’autre de ces tactiques, Hitler comme Mussolini ont combiné la construction d’une force violente sur le terrain et la constitution d’une façade politique « respectable ». Dans des contextes différents, ces deux mouvements ont connu des courbes de développement semblables : construction de groupes de combats en réaction à la puissance des organisations ouvrières, recherche de support électoral et construction d’un mouvement de masse basé sur la petite bourgeoisie déclassée, ralliement de forces de la bourgeoisie jusqu’alors hésitantes et accession au pouvoir, destruction physique des forces du mouvement ouvrier et des acquis démocratiques. Les tentatives de coups d’Etat s’étant avérées infructueuses et la voie électorale insuffisante pour leur amener une majorité de voix, Hitler comme Mussolini sont d’abord arrivés aux affaires par des alliances parlementaires avec des partis libéraux et conservateurs, dont ils se sont débarrassés une fois leur pouvoir consolidé. En Janvier 1933, le mois où Hitler fut nommé chancelier, le socialiste Hilferding proclama « la chute du fascisme », assurant que « la légalité sera sa perte » [2]. Hilferding mourut 8 ans plus tard entre les mains de la Gestapo et sa femme fut assassinée à Auschwitz. Loin de le supprimer, le légalisme est un élément de la stratégie du fascisme dans sa marche vers la prise du pouvoir.

    Les années 20 et 30 furent marquées par des périodes de polarisation aigüe, et le fascisme prit son essor à travers la peur qu’inspira à la petite bourgeoisie puis au grand capital la poussée révolutionnaire du mouvement ouvrier. Aujourd’hui, les fascistes ont pris acte d’un changement stratégique fondamental : ils doivent d’abord rechercher la respectabilité électorale avant d’espérer pouvoir transformer leur soutien en mouvement de masse. Avant de viser à rassurer les capitalistes en leur montrant qu’ils peuvent gouverner le pays en défendant leurs intérêts, la recherche d’audience électorale constitue pour les fascistes, plus encore qu’hier, une condition pour pouvoir construire un mouvement populaire et indépendant. Pour le noyau fasciste qui dirige le FN, la possibilité d’une stratégie plus brutale reste ouverte, lorsque les circonstances se montreront plus favorables. L’accent mis sur l’activité électorale plutôt que sur les méthodes violentes est davantage une stratégie imposée par la situation qu’une remise en cause des buts poursuivis.

     

    N’y a-t-il pas à côté du Front National une multitude d’organisations qui répondent davantage à la définition du fascisme ?


    Il existe certes des groupuscules radicaux et des bandes de nazis-skins adeptes des « Sieg heil ! » bras tendus. Mais, des Nazis, ils retiennent surtout le folklore et la culture de la violence, très peu la fonction que ceux-ci ont été capables de remplir dans la guerre entre les classes. Les équivalents fonctionnels des nazis aujourd’hui, ceux qui sont les plus à même de pouvoir créer un mouvement de masse, portent bien plus souvent des costumes Versace que des croix gammées tatouées sur la poitrine. D’ailleurs, on voit bien qui constitue le pôle d’attraction : si l’on peut encore croiser des nazis-skins dans les défilés du FN, on a peu de chances de voir Marine Le Pen débarquer dans un concert de Oï ! [3]

    Pour prendre le pouvoir, le fascisme a besoin d’un parti de masse. Mais la construction d’un parti de ce type est un chemin sinueux qui exige beaucoup d’habileté pour passer de l’état de groupuscule idéologique à l’étape de l’enracinement dans le système politique. La création du FN en 1972 a permis l’unification de différentes familles fascistes derrière un chef hégémonique. Comme les mouvements fascistes traditionnels [4], le FN est le creuset dans lequel s’exprime des tensions permanentes entre des ailes portées par la volonté de construire un parti d’activistes militants et celles mettant principalement l’accent sur l’activité électorale. C’et ce qui a conduit par exemple à la scission de Bruno Mégret et à la création du MNR (même si celui-ci pouvait paradoxalement avoir le soutien de courants parmi les plus « durs » idéologiquement). Le FN a connu une kyrielle d’autres scissions donnant lieu à la création d’organisations cherchant à contester l’hégémonie du FN sur la nébuleuse fasciste [5]. Les motifs de ces scissions ne sauraient être expliquées par un degré de conviction moindre ou supérieur dans les idées fascistes. Enrobées de querelles idéologiques, elles furent tantôt le fait de notables davantage intéressés par la défense de leur sièges qu’à la construction d’un parti militant, tantôt de militants soucieux d’occuper davantage le terrain de l’activité extra-parlementaire.

    En interne, si les scissions ont pu miner le parti financièrement et le délester de plusieurs milliers de militants, elles sont loin de l’avoir affaibli d’un point de vue qualitatif. Si Mégret a emmené avec lui en 1999 une bonne partie des cadres de l’appareil (dont 150 des 275 conseillers régionaux), la majorité de la base militante est restée fidèle à Le Pen. L’épuration des éléments les moins déterminés à forger un noyau fasciste militant a ainsi permis d’accentuer la discipline et la cohésion de la base populaire autour du chef. L’écrasante majorité des élus renégats a en revanche abandonné le MNR depuis, confiné aujourd’hui à une existence marginale. Dans la construction d’un parti fasciste, le culte du chef est un outil bien plus stable que la conquête de positions institutionnelles.

    À l’extérieur, on ne peut pas dire non plus que le FN soit sérieusement menacé par la concurrence. Des groupes fascistes tournés vers l’activisme peuvent rencontrer un petit écho, notamment dans la jeunesse issue des milieux traditionnalistes. Actuellement, plusieurs groupes parmi les plus radicaux s’emploient ainsi à œuvrer à l’extérieur du FN pour monnayer leur place dans les rapports de forces au sein de la nébuleuse fasciste (Bloc Identitaire, Troisième Voie, Nationalistes autonomes...). Aujourd’hui, le FN n’y est plus aussi hégémonique que par le passé. Mais, en dernière instance, le FN a toutes les chances d’être le principal bénéficiaire de cet activisme car cela crée un climat que celui-ci pourra capitaliser aux élections puis en termes militants bien plus que tout autre parti. Si l’approfondissement de la crise et les succès que pourraient rencontrer les courants fascistes favoriseront les pressions à l’unification dans un mouvement toujours plus populaire et plus militant, le FN reste en tout cas le parti qui donne le ton.


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    Mais un certain nombre d’adhérents et les gens que le FN cherche à recruter ne se reconnaissent pas dans l’héritage fasciste ou nazi…


    L’activité électorale constitue pour les fascistes un moyen d’élargir leur audience et leur base sociale. À condition d’utiliser une tactique adaptée à leurs objectifs qui, à la différence des partis bourgeois, implique de construire un parti de masse.
    Durant les élections présidentielles en 2002, après avoir mis en avant une image polissée au premier tour et parfaitement conscient qu’il ne pourrait élargir sa surface électorale, le FN se recentra à fond sur la question de l’immigration au deuxième tour, mobilisant des références à la sémantique traditionnelle du fascisme afin de radicaliser et fidéliser son électorat. Parmi les électeurs qui avaient déjà franchit une importante barrière psychologique en votant pour un parti « diabolisé », il s’agissait d’inciter ceux qui ne se sentaient pas effrayés par des idées un peu plus ouvertement fascistes à se rapprocher du FN. L’activité électorale des fascistes dévoile ainsi son véritable objectif : transformer des fractions de son électorat en force militante.

    La stratégie de respectabilité développée par le parti lui a permis de multiplier largement ses effectifs depuis sa création. 17 068 membres ont voté au congrès de 2011, sur près de 22 400 adhérents. Cela représente la moitié des 42 000 membres au moment de la scission mégrétiste, dix ans plus tôt. C’est néanmoins presque le double des 6 000 votants sur 13 000 adhérents du précédent congrès de 2007 [6].

    Cette volatilité des effectifs ne saurait être considérée comme le signe de l’incapacité du FN à se construire. Il s’agit plutôt d’une conséquence négative mais nécessaire d’une stratégie consciente, en lien avec ce que les journalistes ont appelé à tort « les dérapages » de Le Pen : les célèbres phrases bien placées remettant en cause les chambres à gaz, liant SIDA et homosexualité, ouvertement racistes, etc. Loin de constituer un écart, cette tactique vise à corriger une conséquence de la quête d’audience du FN : une plus grande hétérogénéité du corps militant et le risque d’une dilution des fondamentaux idéologiques.

    Parmi les nouveaux militants qui commencent à revendiquer ouvertement leur appartenance politique et distribuer la presse du parti, il s’agit de les amener à justifier, au lendemain du « dérapage », les propos de leur chef auprès de leurs collègues, leur famille ou leurs amis, leur faisant ainsi franchir un pas de plus vers les idées fascistes. Parmi les notables installés dans la recherche de respectabilité, il s’agit de rappeler que le projet reste celui de la construction d’un parti fasciste de masse offensif et radical destiné à prendre le pouvoir au moment où l’approfondissement de la crise le permettra. Reprenant ainsi les vieilles techniques de son père, Marine Le Pen s’affiche en femme politique responsable et respectable le 9 décembre 2010 sur France 2 dans une émission qui aurait été vue par près de 3,3 millions de personnes. Trois jours plus tard, profitant des projecteurs encore braqués sur elle, elle compare les prières musulmanes dans les rues à l’Occupation.

    En même temps qu’il se construit à l’extérieur une façade respectable, le FN dispose en interne d’un noyau fasciste aguerri veillant à ce que le parti accompagne l’évolution des membres vers les fondamentaux fascistes pour éviter que l’influence ne s’exerce dans le sens inverse.

     


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    La liberté d’expression étant un précieux acquis démocratique, pourquoi le FN ne pourrait pas exprimer librement ses idées comme tout autre parti ?


    Aussi limitée soit-elle, nous vivons dans une démocratie où la liberté d’expression a été conquise, et la gauche anticapitaliste s’est toujours trouvée en première ligne dans ce combat. Mais est-ce que la liberté peut être défendue en accordant la liberté d’expression en toute circonstance ? Pourrait-on par exemple laisser s’exprimer un parti d’hommes qui voudraient pouvoir violer les femmes à volonté ? Bien sûr que non. Il n’est pas plus tolérable de laisser s’exprimer un parti prônant la haine raciale et dont les discours sont suivis d’effet par des actes de violence concrets de la part de bandes radicales s’attaquant aux noirs et aux arabes ou aux militants de gauche. Les fascistes voudraient pouvoir expulser de France tous ceux qui ne seraient pas « français de souche ». En dépit de leur langage polissé et de leur posture respectable, leur projet vise en définitive à reproduire la Shoah. Leur accorder la liberté d’expression revient à accorder une respectabilité à une politique de guerre de race et d’extermination raciale.

    Mais le fascisme est bien plus qu’une idéologie raciste. Son but fondamental est de détruire les organisations de la classe ouvrière, la démocratie, et d’installer une dictature. Comme je l’ai évoqué, Hitler usa habilement des canaux démocratiques et de la liberté d’expression qui lui fut accordée pour parvenir au pouvoir. Or, loin de s’attaquer seulement aux juifs et au mouvement ouvrier, les nazis interdirent tous les partis politiques et journaux qui refusèrent de se soumettre. Les camps de concentrations furent remplis d’ardents défenseurs de la liberté d’expression. Refuser la liberté d’expression aux fascistes, c’est refuser de laisser le moindre espace à ceux qui veulent liquider la liberté d’expression et les droits démocratiques conquis au cours des siècles.

    Néanmoins, nous ne pouvons nous appuyer sur les institutions pour y parvenir. L’Etat est incapable de contrer la stratégie légaliste des fascistes, en premier lieu parce que la classe dirigeante qui le contrôle l’utilise pour combattre les classes populaires qui lui inspirent une peur bien plus grande. Aussi, plus le mouvement ouvrier d’un côté et le mouvement fasciste de l’autre gagnent en audience, plus la tentation est grande pour la classe dirigeante de laisser un espace au second pour affaiblir le premier. Seul un mouvement de masse construit par en bas avec les secteurs les plus combatifs de la classe ouvrière comme fer de lance est capable de faire reculer le fascisme.

    Si le débat sur la caractérisation de ces forces politiques a autant d’importance, c’est que cela détermine grandement notre capacité à construire un front antifasciste le plus résolu et le plus large possible, contre les groupuscules fascistes militants mais aussi et surtout contre les fascistes en smoking qui peuvent constituer une menace bien plus insidieuse. Le fascisme est un mouvement dynamique qui doit être compris dans son processus de développement. Si le FN met aujourd’hui davantage l’accent sur son activité électorale que sur l’activisme contre les immigrés et le mouvement ouvrier, c’est que cela constitue la tactique la mieux adaptée pour acquérir une audience dans une situation où la capacité de la classe dominante à diriger la société commence seulement à vaciller. Il nous faut donc identifier l’endroit où réside dans la situation présente la possibilité de construction d’un parti fasciste de masse. Dire que le FN n’est pas un parti fasciste en ne considérant que son étape actuelle de développement, c’est croire que la situation politique et sociale ne peut que rester stable. Or, la crise du capitalisme n’est plus seulement une possibilité évoquée par une poignée d’irréductibles révolutionnaires. Elle commence à façonner la réalité de façon de plus en plus palpable, accentuant l’instabilité sociale et politique tout comme les confrontations de masse. Si le fascisme du 21e siècle ne revêtira évidemment pas les habits du passé, la vieille alternative entre socialisme ou barbarie n’en n’est pas moins remise à l’ordre du jour.

    Notes

    [1Sur les processus de développement des mouvements fascistes et des enseignements à tirer des exemples italiens et allemands, lire notamment Robert O. Paxton, Le Fascisme en action, Seuil, 2004.


    [2Cité par Jim Wolfreys, « The physiology of barbarism », ISJ n°83 http://pubs.socialistreviewindex.org.uk/isj83/wolfreys.htm


    [3Un exemple parmi d’autres du lien entre ces milieux : Robert Ottaviani, ex-chanteur skinhead d’Ultime Assaut, un groupe de rock identitaire français, préside aujourd’hui l’association Énergie Bleu Marine créée pour soutenir la candidature de la fille Le Pen à la présidentielle de 2012. Est-ce une contradiction pour celle qui déclarait en 2003 ne rien avoir en commun avec ces groupuscules Nazis : « Ils ont de tout petits cerveaux, une tendance à l’accoutrement vert-de-gris, de grosses chaussures et détestent tout ce qui n’est pas blanc de peau » ? Non. Il s’agit justement d’une illustration de la relation entre la recherche de respectabilité au dehors et le fascisme pur au dedans.
    Voir aussi comment le FN tente de récupérer les jeunes skinheads de Chauny : Stéphane François, « Réflexions sur le mouvement « gabberskins ». Une première approche sociologique », http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1747


    [4Les Nazis comme les Fascistes italiens ont été traversés au cours de leur développement par des tensions entre des ailes électoralistes et des ailes privilégiant l’activité extra-parlementaire et le combat de rue. En 1931, Hitler parvint à enrayer une révolte au sein du parti en purgeant 500 SA qui refusaient d’obéir à son interdiction des combats de rue. A la fin 1932, après des revers électoraux, ce sont au contraire les hommes de l’appareil tentés par les combinaisons parlementaires qui faillirent le lâcher, ce qui fut évité par sa nomination à la chancellerie peu après.


    [5À l’image de la Nouvelle Droite Populaire de Robert Spieler, du Parti De la France de Carl Lang, d’Égalité et Réconciliation d’Alain Soral ou du Bloc Identitaire de Fabrice Robert.


    [6Les chiffres proviennent de Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (VISA), « Le FN en brun Marine », http://www.visa-isa.org/node/489

     

    http://quefaire.lautre.net/spip.php?page=article&id_article=265

     

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    http://partisansidf.wordpress.com/2011/08/27/zona-antifa/

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    FN: notre contre-argumentaire

    |  Par La rédaction de Mediapart

     

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    En vingt fiches techniques, nous vous proposons une expertise complète du programme du Front national et de sa candidate Marine Le Pen. De nombreux abonnés lecteurs de Mediapart nous ont demandé de mettre en accès libre et gratuit cette enquête. C'est chose faite: vous pouvez à votre guise utiliser, transmettre, faire connaître ce décryptage. Bonne lecture!


    Front national: notre contre-argumentaire en 20 fiches

    |  Par La rédaction de Mediapart

     


    Il faut malheureusement prendre au sérieux le Front national et sa candidate, Marine Le Pen. Solidement installé depuis un quart de siècle, ce parti d'extrême droite peut encore surprendre au soir du 22 avril. Mediapart a donc mené l'autopsie de son programme. Proposition par proposition, nous vous présentons son décryptage ainsi que notre contre-argumentaire. En vingt fiches techniques, comment dire "Non" au FN.

    1. Un «nouveau FN» bien proche de l'ancien

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Marine Le Pen serait plus «moderne» et à la tête d'un «nouveau FN» «dédiabolisé». C'est l'idée qu'elle tente d'installer depuis sa prise du parti. Pourtant, en comparant les propositions de 2007 et 2012, on voit que le Front national a conservé ses mesures fondamentales, du rétablissement de la peine de mort à la lutte contre l'avortement, en passant par la «priorité nationale».

    2. Le FN et la sortie de l'euro

    |  Par La rédaction de Mediapart

    C'est la clé de voûte du programme économique du Front national : le retour au franc, sur la base d'un euro égale un franc. Une mesure qui semblait encore totalement exotique il y a trois ans, mais que la crise de l'euro, depuis mai 2010, a rendue un peu plus crédible. Décryptage.

    3. Le FN et la dette

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage du plan de désendettement de Marine Le Pen.

    4. Le FN et l'«Etat fort»

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage de l'« Etat fort » prôné par Marine Le Pen, qui passera aussi par un lavage de cerveau nationaliste.

    5. Le FN: l'économie et le social

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Ne pas chercher de cohérence idéologique dans le programme économique du FN. Il n'y en a pas.

    6. Le FN et l'agriculture

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Il faut lire le projet de Marine Le Pen à destination des agriculteurs comme un exemple type de ce que la politique peut produire de stupide et néfaste.

    7. Le FN et l'immigration

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière d'immigration de Marine Le Pen.

    8. Le FN et la sécurité

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de sécurité de Marine Le Pen.

    9. Le FN et la justice

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de justice de Marine le Pen.

    10. Le FN et le logement

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de logement de Marine Le Pen.

    11. Le FN, la santé, la recherche et la «fraude»

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de santé et de recherche de Marine Le Pen.

    12. Le FN et l'éducation

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière d'éducation et d'enseignement supérieur de Marine Le Pen.

    13. Le FN et l'écologie

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière d'écologie de Marine Le Pen.

    14. Le FN et la place des femmes

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage du discours et des propositions sur/pour les femmes de Marine Le Pen.

    15. Le FN et la laïcité

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de laïcité de Marine Le Pen.

    16. Le FN et la culture

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de culture de Marine Le Pen.

    17. Le FN et les institutions

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions sur la démocratie et les institutions de Marine Le Pen.

    18. Le FN et le numérique, la presse

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de numérique et de presse de Marine Le Pen.

    19. Le FN et la politique étrangère

    |  Par La rédaction de Mediapart

    Décryptage des propositions en matière de politique étrangère de Marine Le Pen.

    20. Le FN et l'Europe

    |  Par La rédaction de Mediapart

    En finir avec l’Europe, détruire l’Union européenne. Au moins sur ce point, le programme du Front national est-il clair.

     

     

     

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    FN: front national= fasciste, je hais le fn!!
    http://slash-hardeux.skyrock.com/
    Mes tweets sur le FN
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