• L'information en France : Tous les Médias répètent la "vérité" officielle

    L’information en France ? Tu la répètes ou tu la quittes...

     On le savait déjà : chaque année la France dégringole un peu plus dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières, et en huit ans elle est passée de la 10ème place (2002) à la 44ème place (2010). Un récent sondage effectué dans leurs rangs permet de révéler la conscience des journalistes sur cette dégradation de leurs conditions de travail, même si certains paradoxes dans leurs réponses suggèrent l'existence d'un certain climat de peur en leur sein, probablement dû aux différentes évictions de journalistes importants. A-t-on voulu faire des exemples pour soumettre l'ensemble des journalistes ? Et est-ce que tout ça a marché ? C'est ce qu'on va essayer de voir ici...


    A l'occasion des Assises du journalisme, assemblée qui se tenait à Poitiers du 8 au 10 Novembre, un sondage CSA révèle que 85% des 513 journalistes interrogés répondent être plutôt heureux voire plus d'exercer leur métier, mais que 53% d'entre eux pensent que leurs conditions de travail ne sont pas satisfaisantes (http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jtv9dVgGz_vuPKa11QXa4Xx7tORw?docId=CNG.5d92fcff6f7468a19d3f0513f138928e.5a1). Étrange paradoxe... Car comment peuvent-ils être heureux d'exercer leur métier dans des conditions dégradées ? Et d'ailleurs comment s'effectue cette dégradation des conditions de leur travail ? Est-ce là l'expression de la conscience de la perte de la liberté de la presse dénoncée par Reporters sans Frontières ?

    Autres chiffres issus du même sondage : pour 76% des journalistes leur métier évolue négativement (contre 63% en 2007 au dernier sondage de ce type), 62% considèrent que la liberté de la presse s'est détériorée ces dernières années (dont 73% des moins de 29 ans), et un peu plus de la moitié considère que les sujets liés à la politique ne sont pas traités correctement et que les partis politiques n'ont pas les mêmes conditions pour exprimer leurs opinions.

    Alors d'où vient cette réponse exprimant un bonheur majoritaire, quasiment soviétique (85%), d'être un journaliste français ? Elle vient peut-être d'une raison toute simple : la peur. La peur d'être éliminé du métier, de re-dégringoler pigiste si un seul d'entre eux a le malheur de s'écarter de la « ligne éditoriale » actuelle, et de donner un avis un peu trop large ou un peu trop personnel sur un sujet donné. On va voir que pour comprendre la méthode mise en place il faut souvent aller chercher parmi les médias étrangers.


    Les points de vue étrangers.

    C'est bien souvent en fouillant sur les sites des journaux étrangers que l'on en apprend le plus sur la France, par une prise de recul et l'obtention d'un avis extérieur, et la situation de notre presse ne fait pas exception.

    En juin 2009, la Télévision Suisse Romande (TSR) diffuse un documentaire sur l'influence de Nicolas Sarkozy sur les médias français, intitulé « Sarkozy le vampire des médias ». On y accuse le nouveau président de la France d'être un « Roi-Soleil » médiatique, de faire régner la terreur dans les rédactions en sanctionnant les journalistes qui feraient preuves de trop d'autonomie, d'organiser des démonstrations médiatiques à la sécurisation presque paranoïaque empêchant les journalistes de poser des questions ou de retranscrire un fait sous un angle différent de celui imposé, de faire jouer ses services de renseignements pour identifier les informateurs des journalistes, etc, etc... Le présentateur de l'émission, Jean-Philippe Ceppi, commence d'ailleurs son reportage en rappelant les liens que Nicolas Sarkozy entretient avec les patrons des médias français et leurs conséquences sur les journalistes qui se trouvent affiliés à ces grands groupes de presse : « Il ne fait pas bon être journaliste par les temps qui courent dans les rédactions françaises. Mises à pied, sanctions, auto-censure,le climat que fait régner l'omni-président dans les rédactions vaut à la France un triste record européen : le pays où les interventions policières et judiciaires contre les journalistes ont été les plus nombreuses ». Tout un programme...

    Dans ce reportage, on voit les difficultés rencontrées par les journalistes suisses pour obtenir une accréditation leur permettant de couvrir le déplacement présidentiel de leur point de vue objectif, les peurs ressenties par les journalistes français à l'idée d'annoncer le départ de Cécilia Sarkozy du domicile conjugal, la publication des photos d'elle et de son amant étant qualifiée de « crime de lèse-majesté  ». On y voit également le remplacement du président de Radio France, car désireux de préserver la liberté d’expression il refusera de brider l'humoriste Stéphane Guillon. On y voit enfin la mise ne place de la nomination directe du président de France Télévisions par le Président de la République lui-même, permettant alors un éventuel contrôle de l'information diffusée sur les chaînes du service public, comme le déplore David Pujadas.

    Nicolas Sarkozy étant également très proche de Martin Bouygues, propriétaire de TF1, et de Arnaud Lagardère (actionnaire à 20% du groupe Canal Plus) il a désormais une influence directe ou indirecte sur la quasi-totalité des chaînes fournissant de l'information en France (TF1, France 2, France3, Canal +, France 5, I-Tele, LCI).

    Et Nicolas Sarkozy n'aime pas les journalistes qui lui résistent ou qui pourraient donner une mauvaise image de lui. En 2009 lorsque Patrice Machuret, journaliste politique à France 3 couvrant les déplacements présidentiels, publie un livre intitulé « l'enfant terrible » dans lequel il révèle que le président consulte secrètement un « gourou » qui lui envoie des « ondes positives », il est traité par Nicolas Sarkozy de « crétin » et de « honte de la profession ». Cette information sur les consultations de Nicolas Sarkozy auprès d'un gourou est-elle avérée ? Qui est ce gourou ? En tout cas l'information n'est pas démentie, et aucun autre journaliste ne semble vouloir y mettre le nez...

    Et cette toute puissance médiatique, cette trop forte influence de la présidence sur les médias, s'est ressentie très tôt parmi la population française, bien avant la diffusion de ce reportage.

     


    Déjà, en 2008, les chiffres étaient alarmants

    Déjà en 2008, l'association « le cercle des 5C » avait réalisé une étude alarmante sur l'estime de la population envers l'indépendance des journalistes. Sur le site www.journaliste.com ( http://www.journalisme.com/content/... ) on peut encore trouver les chiffres de l'enquête réalisée sur un millier de personnes, et dont les résultats étaient alors édifiants.

    A la question portant sur l'indépendance des journalistes vis-à-vis des « entreprises qui sont propriétaires des médias », 73% les estimaient « pas très indépendants » voire « pas du tout indépendants », montrant là toute la conscience populaire du poids que pouvaient déjà avoir les groupes financiers désormais propriétaires des journaux sur la qualité de l'information. On pourra citer notamment le licenciement en 2006 de Alain Genestar, directeur de la publication de Paris Match pendant 20 ans, qui fut poussé vers la porte après avoir publié en une des photos de Cécilia Sarkozy et de son amant, et ce dans un magazine possédé par un Arnaud Lagardère qui n'est autre qu'un ami personnel de Nicolas Sarkozy. Alain Genestar déclarera plus tard à la TSR avoir servi d'exemple ayant consisté à montrer aux autres journalistes que la possibilité d'une éviction n’épargnait pas les plus grands noms (Reportage « Sarkozy le vampire des médias  »)

    Dans cette même enquête et concernant l'indépendance des journalistes vis-à-vis des politiques, 72% des interrogés les estimaient « pas très indépendants » ou moins. Déjà la connaissance du « off », c'est-à-dire de toutes les relations qui peuvent exister hors antenne ou dans les rédactions entre journalistes et politiques était bien présentes dans les esprits. Il est vrai que la connivence politico-médiatique n'était plus aussi bien camouflée qu'à l'époque où, en 1994, Pierre Carles tentait par son reportage « Pas vu, pas pris » de dénoncer les ententes hors antenne entre les patrons de presse et les hommes politiques importants, ainsi que le silence approbatif du quasi-ensemble de la classe journalistique environnante. Désormais le « off » existe beaucoup moins, tout simplement car la connivence est visible au grand jour entre le pouvoir et les patrons des grands groupes financiers (Bolloré, Lagardère, Bouygues...).

    Cette défiance n'était pas pour autant conjoncturelle car 44% des gens interrogés considéraient que devant l'émergence de l'information sur internet les grands médias n'avaient rien changé de leur façon d'informer, révélant un ancrage plus ancien de la mauvaise qualité perçue de cette information, et laissant planer là le spectre d'une défiance de plus longue date. Sur le même thème, seulement 54% des gens soit à peine plus de la moitié du panel considéraient que l'information distillée par les journalistes était « de meilleure qualité que celle générée par les institutions publiques ».

    Le tableau de l'information des grands médias était alors clair : elle n'était composée pour l'opinion que du recopiage des messages officiels du pouvoir politique et des grands groupes financiers. Un copier-coller de dépêches AFP, dans le meilleur des cas, formant une « ligne éditoriale » semble-t-il présidentielle.

     


    Quelques victimes de la « ligne éditoriale »

    Et elle est bien longue ces dernières années, la liste des victimes qui ont osé s'écarter de cette « ligne éditoriale ». On peut ou non apprécier leurs œuvres respectives, mais de célèbres journalistes ont disparu de nos antennes et des colonnes de nos journaux, comme sous l'effet d'une purification rampante destinée à imposer une vision unique de l'information. Il y eut également des émissions qui en firent les frais.

    D'abord « Arrêt sur Images », l'émission de Daniel Schneidermann qui analysait et décryptait les médias et donc la dégringolade de la France dans les classements mondiaux de la liberté de la presse. Schneidermann sera licencié de France 5 pour faute grave le 1er Juillet 2007, comme le rappelle un article du site acrimed.org ( http://www.acrimed.org/article2664.html
    ), pour avoir « tenu des propos inadmissibles », pour avoir « laissé entendre que l'arrêt de l'émission était lié à des pressions politiques », et pour globalement avoir tenu « de graves accusations mettant en cause l'indépendance de la direction du groupe France Télévisions ». Dans ce même article écrit par Henri Maler, la direction de la chaîne est alors qualifiée de « petite oligarchie cooptée aux commandes de l'audiovisuel public ». Précédemment il avait été licencié du journal « Le Monde » pour avoir estimé que la direction du journal ne répondait pas aux accusations du livre « la face cachée du Monde » de Pierre Péan et Philippe Cohen, livre dénonçant l'intégration cachée du grand quotidien dans les réseaux de pouvoir français.

    Ensuite une autre disparition d'émission : « Ripostes » de Serge Moati. Émission politique du dimanche soir, elle avait pour atout de présenter équitablement toutes les tendances politiques de l'extrême-droite à l'extrême-gauche. Mais c'est peut-être le fait que son présentateur, pourtant un ancien conseiller de François Mitterand, ait une certaine tendance a laisser parler les partis extrêmes qui provoquera l'arrêt de l'émission en 2007. Relégué dans une émission de cinéma, Serge Moati ne pourra plus donner la parole à tout le monde.

    Des chroniqueurs de presse viennent ensuite. Une victime parmi tant d'autres : Siné. En 2008, il écrit dans « Charlie Hebdo » : « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit !  » Coupable de liberté d'expression, il fut accusé d'antisémitisme et renvoyé de « Charlie Hebdo ». A tort, car le journal sera condamné le 30 novembre 2010 à 40.000 euros d'amende pour rupture abusive de contrat, le Tribunal de Grande Instance de Paris reconnaissant le droit à la satire et considérant qu'il « ne peut être prétendu que les termes de la chronique de Siné sont antisémites ».

    Des journalistes, ensuite. Robert Ménard, ancien patron de Reporters sans Frontières, grand défenseur de la liberté d'expression ce qui l'a amené a donner la parole à des gens comme Alain Soral, Dieudonné, Eric Zemmour ou Thierry Meyssan (que personnellement je ne cautionnerais pas pour l'ensemble de leur œuvre mais qui ont néanmoins tout à fait droit à la parole). Cette tendance à favoriser la pluralité des opinions lui vaudra des attaques de moralité étranges, et il fut notamment accusé de cautionner le recours à la torture (Rue89, 2007) ou de tenir des propos homophobes (février 2010). En tant que fondateur de Reporters sans Frontières, il est aussi à l'origine du constat alarmant de la disparition progressive de la liberté de la presse dans notre pays. Début 2011, lorsqu'il demande dans un livre intitulé « Vive Le Pen » à ce que le Front National ait son droit à la parole, il subit de vive critique qui provoqueront son licenciement de RTL en juin 2011. Il s'était pourtant expliqué clairement, en vain : « Je ne voterai pas Front National mais je pense que ce parti, qui doit être considéré comme républicain aussi longtemps qu'il ne sera pas interdit, doit bénéficier du droit à la liberté d'expression. Je dirais la même chose du Front de Gauche ou de la Ligue Communiste Révolutionnaire. Défendre la liberté d'expression n'est pas défendre l'extrême droite.  »

    Des chroniqueurs télévisé, aussi. Zemmour et Naulleau font eux aussi partie des victimes, éliminés à la rentrée pour être remplacés par deux journalistes féminines peut-être plus consensuelles à l'orée de la campagne présidentielle. Par qui a été réclamée leur éviction ? On ne le saura probablement jamais : ces deux-là ont lynché tellement de monde sur le plateau d' « On est pas couché » qu'il sera très difficile de remonter aux sources...

    Des présentateurs de journaux télévisés, de plus. Patrick Poivre d'Arvor fut le présentateur du 20 heures de TF1 durant 21 ans, et il en fut débarqué pour des raisons obscures. L'homme, qui n'est pas un ange et qui a été accusé de différentes affaires au cours de sa carrière (interview truquée, plagiat...), déclarera en juillet 2008 sur Europe 1 : « mon éviction n'est pas journalistique », laissant planer le doute d'une intervention présidentielle concernant son remplacement par Laurence Ferrari à la tête du journal le plus regardé de France. Il est vrai que PPDA, traditionnellement attaché aux interviews présidentielles, avait comparé Nicolas Sarkozy en juin 2007 à un « petit garçon en train de rentrer dans la cour des grands », ce qui avait évidemment déplu.

    Des journalistes du net, eux-aussi. Les journalistes de Rue89 furent attaqués en justice pour avoir sorti des informations confidentielles sur l'interview présidentielle effectuée sur France 3 le 3 juin 2008. On y voyait la préparation de l'interview du président et la façon dont il imposait le rapport de force avec les journalistes, et dont il imposait les sujets de l'interview. On le voyait aussi reconnaître son intervention directe sur des « mises au placard » de journalistes, ici semble-t-il pour protester contre l'éviction d'un journaliste. France 3 se vit alors obligé de porter plainte contre deux journalistes du site Rue89 et contre leurs informateurs. Devant l'ampleur de l'affaire, cette plainte sera retirée quelques jours plus tard.

    Les humoristes aussi sont touchés. Stéphane Guillon et Didier Porte, licenciés de France Inter à l'été 2010, ont fait les frais de leur irrévérence. Didier Porte publiera d'ailleurs à se propos « Insupportable ! Chronique d'un licenciement bien mérité » et Stéphane Guillon « On m'a demandé de vous virer ».

    Le président de Radio France, Jean-Paul Cluzel, poussé vers la sortie car laissant trop de liberté d'expression aux humoristes irrévérencieux envers le pouvoir, et également d'après «  le Canard Enchaîné » ayant déplu à Nicolas Sarkozy lorsqu'il a posé nu dans un calendrier d'Act-Up en faveur de la lutte contre le SIDA.

    Parmi les patrons de presse on peut citer Alain Genestar, directeur de la publication de Paris Match pendant 20 ans, déjà mentionné plus haut pour avoir été écarté de son poste après la publication des photos de Cécilia Sarkozy et de son amant. Il y a également Laurent Joffrin, directeur de « Libération », qui même s'il ne fut pas évincé fut plus ou moins sermonné en conférence de presse pour avoir parlé de « monarchie élective », sous les rires de ses confrères journalistes. Pourquoi ces méthodes ? C'est également dans le reportage de la TSR de 2009 sur notre paysage médiatique qu'on en apprend la raison profonde, au fil des différents témoignages proposés : la volonté du pouvoir serait de créer une « presse de révérence ». L'expression vient d'un commentaire effectué par Jean-Michel Thénard, journaliste au « Canard Enchaîné » : « Cette conférence de presse était en effet assez symptomatique des rapports compliqués entre la presse et le pouvoir en France. On a une presse qui est moins une presse d'investigation qu'une presse de révérence. Si un confrère pose une bonne question qui ne plaît pas au monarque personne ne va le soutenir. Si le monarque tape sur le confrère, les gens vont sourire. C'est une sorte de théâtre de la cruauté télévisuelle car ça donne le spectacle d'un Nicolas Sarkozy qui lui a parfaitement compris le système et donc se joue des journalistes.[...] Si les journalistes présents faisaient corps et obligeaient le monarque à répondre aux questions, l'ambiance serait tout à fait différente. »

    Une « presse de révérence »... Qui se plie à l'information qu'on lui donne et qui ne cherche plus à s'opposer... C'est cette étrange unité de ton qu'il convient d'examiner, notamment par l'examen du traitement médiatique de l'affaire de l'incendie de Charlie Hebdo et son absence de point de vue divergeant.

     


    Le traitement médiatique de l'incendie de « Charlie Hebdo »

    Dans la nuit du 1er au 2 Novembre 2011 les locaux de l'hebdomadaire satirique « Charlie Hebdo » étaient incendiés par un cocktail molotov. Cette semaine-là, le magazine était rebaptisé « Charia Hebdo » et mettait en couverture une caricature du prophète Mahomet, à des fins de provocation car cela est interdit par l'Islam et considéré comme une offense dans de nombreux pays musulmans. Quelques jours avant le site internet de cette publication était victime d'un piratage informatique remplaçant sa page d’accueil par une photo de la Mecque et des versets du Coran. Ce piratage informatique a été revendiqué par un groupe de hackers turcs nommé « Akincilar », et ce pour lutter contre « les publications qui attaquent [leurs] croyances et [leurs] valeurs et qui proposent des contenus pornographiques et satanistes. » Ce groupe de hackers nie néanmoins toute implication dans l'attaque incendiaire de « Charlie Hebdo ».

    Alors qui a jeté ce cocktail molotov ? Normalement l'objectivité journalistique devrait faire dire aux journalistes une phrase du genre : « on ne sait pas, personne n'a revendiqué quoi que ce soit ». Ou bien « Rien ne prouve que les incendiaires soient musulmans. » Pourtant ces mises en garde ont été rarement faites par les journalistes. Les sujets, à la télévision et dans les articles de presse, faisaient systématiquement le rapprochement entre l'attaque informatique, la couverture du magazine et l'incendie, désignant alors plus ou moins implicitement des musulmans comme étant responsables de cette attaque, et comptant sur notre « temps de cerveau disponible » pour faire les amalgames désirés. Hier encore, Jeudi 10 Novembre, un article du Nouvel Observateur titrait « Charlie Hebdo : quand la religion sert de munitions aux cons ». ( http://leplus.nouvelobs.com/contribution/212529 ;charlie-hebdo-quand-la-religion-sert-de-munitions-aux-cons.html ). Et le même jour la mosquée de Montbéliard a été incendiée, probablement en représailles de ces événements de « Charlie Hebdo » dont ne connaît pas formellement les auteurs. Des centaines de messages d'indignation ont été posté sur Facebook par des musulmans, et de leur côté des salafistes manifestent devant l'ambassade de France au Caire en faisant toujours plus monter la pression entre communautés sur la base de faits mis en avant de façon douteuse.

    Pourtant la plupart des déclarations des politiques étaient prudentes : François Fillon, Martine Aubry, François Hollande, Cécile Duflot, Jean-Luc Mélenchon condamnaient la violence de l'acte sans faire de lien avec une quelconque religion ou une quelconque communauté ( http://fr.wikipedia.org/wiki/Charia_Hebdo ).

    D'autres étaient déjà plus ambiguës, ne faisant qu'implicitement le lien entre l'incendie et les musulmans, parlant d'« attentat » ou de « terrorisme », notions qui sont depuis des années associées par les médias à l'extrémisme d'une partie de la religion musulmane. Après l'incendie Claude Géant déclarait qu'il fallait pour tous les français « se sentir solidaires » contre l'« attentat » de « Charlie Hebdo » (source : Europe1). De même Jean-François Copé parlait d'« attentat contre un journal » et d'« amalgames entre religion et politique » (source : Le Figaro). Marine Le Pen parlait quant à elle de nouvelle forme de « terrorisme » (Source : Le Figaro). Frédéric Mitterrand faisait le lien entre « les intimidations dont a fait l'objet « Charlie Hebdo » ces derniers jours et l'attaque de sa rédaction » (Source : Le Figaro). Déclarations à propos desquelles Bernard Maris, journaliste à « Charlie Hebdo », déclarera dans Le Monde : « Il ne faut pas avoir peur d'être soutenu par des cons. » ( http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/11/02/heberge-par-liberation-l-equipe-de-charlie-hebdo-se-remet-au-travail_1597556_3236.html ).

    Ce sont donc bien les médias qui créent délibérément cette association entre l'incendie et les musulmans et qui la propagent, pas les principaux responsables politiques, ou en tout cas pas publiquement.

    Dans le traitement journalistique de l'actualité dans les grands médias télévisés l'objectivité a disparue. Une info est dictée sous un angle précis, et tout les journalistes répètent sans en changer une ligne, tous rendus bien dociles par des licenciements répétitifs qui ont évincés de grands noms du journalisme et qui pourraient bien les toucher à leur tour. Aucun ne va essayer de s'écarter de la version officielle, de peur de perdre rapidement son poste et de redevenir pigiste en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Alors que sur ce sujet précis de l'incendie du magazine il y avait pourtant matière à polémique et à un débat :

    • A qui profite le crime ? Certainement pas aux musulmans. Même dans l'hypothèse ou les incendiaires seraient adepte de l'Islam il s'agirait probablement d'un acte isolé en aucun cas représentatif d'une communauté religieuse. Riss, directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, mettait pourtant en garde dès les premières heures d'interview contre un événement du type de l'« incendie du Reichstag ». « Dans ce numéro, il y a un article sur les catholiques intégristes aussi. […] Cela peut être l'extrême-droite, des fanatiques... » déclare-t-il dans les colonnes de www.lemonde.fr ( http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2011/11/02/heberge-par-liberation-l-equipe-de-charlie-hebdo-se-remet-au-travail_1597556_3236.html ). Alors pourquoi les journalistes ne suivent-ils pas la piste de l'extrémisme catholique, à l'heure où ils agissent à visage découvert contre la pièce de Romeo Castellucci (dont le côté provoquant est également largement discutable) ? Mystère... Il semblerait qu'il faille montrer du doigt les musulmans et communiquer abusivement sur l'extrémisme d'une partie d'entre eux.

    • La couverture de « Charlie Hebdo » fait référence à la prise de pouvoir de partis islamistes adeptes de la Charia, en Tunisie notamment, et là aussi les grands médias télévisés aiment à nous le rappeler. Mais pourquoi ces journaux ne précisent-ils pas que depuis des semaines ils nous présentent des révolutions arabes idéalisées, et que la montée en puissance de ces partis islamistes n'a que trop peu été couverte par leurs journaux ? Pourquoi cette volonté soudaine de nous montrer le diable là où il y a quelques semaines on nous montrait une bénéfique libération ?

    • Les réactions musulmanes sont montrées du doigt lorsque des groupements s'insurgent contre des caricatures du prophète Mahomet, et on invoque alors leurs revendications comme étant une attaque à la liberté d'expression. C'est la seconde fois que « Charlie Hebdo » publie des caricatures de Mahomet avec la même réaction épidermique de certains musulmans mais que se passerait-il si « Charlie Hebdo » mettait en une des caricatures du Talmud, et de ses fameux passages racistes ou autorisant la pédophilie ? D'ailleurs pourquoi « Charlie Hebdo » ne le fait-il pas ? Le magazine a-t-il d'ailleurs seulement le droit de le faire au nom de la liberté d'expression à la française qui est en vigueur aujourd'hui ? Compte tenu des réactions obtenues suite à la diffusion récente d'« un Œil sur la Planète » sur le sujet de la Palestine, je doute que ces publications se feraient dans un silence complet ou une hilarité complice. Il semblerait que l'humour ne doive concerner que certaines religions et pas d'autres, et qu'on ne cherche l'intégrisme que là où ça nous arrange.

    Le traitement de cet affaire est donc orienté et basé sur des accusations vagues qui ne font que monter les communautés les unes contre les autres. L'information est désormais unique, normalisée, et gare à celui qui s'écartera de la ligne éditoriale.

    Dans notre pays la liberté de la presse disparaît peu à peu, le classement de Reporters sans Frontières l'atteste. Mais il ne sert à rien de rechercher d'éventuelles menaces exercées directement sur les journalistes : elles n'existent pas. Le journaliste a le droit aujourd'hui de publier l'article qu'il veut, mais en étant tout à fait conscient qu'il sera peut-être écarté demain, mis sur un banc de touche pour s'être éloigné de la « ligne éditoriale » comme l'on été de plus grands noms du journalisme avant lui. Il s'agit probablement de techniques d'intimidation dont le but recherché est clair : que chaque journaliste s'autocensure de lui-même, s'il ne veut pas se retrouver à la rue, banni de l'antenne ou des colonnes des grands journaux.

    Et c'est peut-être ça qui explique ce paradoxe du sondage dans lequel une majorité de journalistes se disent contents d'exercer leur métier alors qu'on les bâillonne de plus en plus : chacun se dit « qu'est-ce qui va m'arriver demain si je commence à critiquer mon métier, ou à montrer du doigt les problèmes que je vis au quotidien ? ». Ce paradoxe est ce que dans les études de marché on appelle la différence entre le désir réel et le désir exprimé : on pense une chose mais on en exprime une autre car on se sent obligé de correspondre à une influence, une mode, une idéologie, ou bien tout simplement parce qu'on a peur de dire tout haut ce que l'on pense.

     

    par Zeugma (son site) samedi 12 novembre 2011

     

    http://mathieu.zeugma.over-blog.com/

     

    .http://www.agoravox.fr/actualites/medias/article/l-information-en-france-tu-la-104120?debut_forums=0#forum3120403

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    Liberté de la presse
    Source : RSF (Reporter sans frontières) 2002-2010

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