• femme-voilee-franceLe Prophète Muhammad a été attaqué dès le début de la Révélation. Il nous faut définir tout de suite la conception islamique de l’islam qui diffère de la conception chrétienne, où la religion (ou la religiosité) n’est dentifiée ni par un prophète, ni par une règle. L’islam se présente comme un acte de foi ; c’est la reconnaissance d’une adhésion consciente à l’Être suprême.

    Pour les musulman-e-s, appréhender la dimension du Transcendant signifie se libérer de toute manifestation du contingent. On retrouve ainsi l’idée de la reconnaissance de l’Unique pour se libérer de tout ce qui relève des contingences de la vie ; reconnaître ce qu’Il est, c’est se libérer de toute soumission à ce qu’Il a créé : influences des être humains, modes, tensions personnelles, émotionnelles ou matérielles. L’islam se définit donc par cet état de reconnaissance.

    Quand, au XVIIIèmesiècle, certains penseurs comme Montesquieu ou Voltaire commencent à s’intéresser à la question de l’islam, on les entend parler de « mahométans ». Cette appellation en soi est une grave erreur car elle fait référence, par analogie, à ce que l’on connaît pour le christianisme et le Christ. Or, dans la tradition musulmane, on se réclame d’un acte de reconnaissance du Créateur de tous les hommes, et non pas d’un être humain, même s’il est le modèle des musulmans, même s’il est celui qui va leur permettre de se rapprocher de Dieu. C’est un aspect fondamental, car ici le rapport du Créateur à sa Création est déplacé et se différencie de la conception chrétienne.

    Certes, ces aspects peuvent paraître secondaires, voire des évidences, mais il faut savoir les dire dans un contexte qui a en quelque sorte enraciné dans l’inconscient collectif des représentations faussées qui remontent au Moyen Âge.

    L’islam étant la dernière des religions, il ne pouvait manquer de susciter un courant d’hostilité qui, au cours de l’histoire, a revêtu des formes diverses : la force armée avec les expéditions militaires, les attaques par l’écriture, une législation ressentie comme agressive et discriminanteet enfin, les blasphèmes.

    L’islam est d’abord attaqué par l’épée. Les Croisades débutent en 1095 pour se dérouler sur trois siècles, avec l’objectif de chasser les musulmans de la ville de Jérusalem. L’islam sort finalement renforcé de cette épreuve, avec la constitution de l’Empire ottoman qui va embrasser le Proche-Orient, l’Europe des Balkans, l’Afrique du Nord et une bonne partie de l’Europe de l’Est.

    L’islam est ensuite attaqué par la plume, avec des écrits comme « la Chanson de Roland » (l’auteur représente l’islam comme le grand ennemi de la chrétienté), « la divine Comédie » de Dante. Dans la croisade intellectuelle qui se poursuit, des figures de la littérature se distinguent. Citons en vrac Pascal (dans ses pensées, on trouve le chapitre : « contre Mahomet »), Voltaire (avec son « le Fanatisme ou Mahomet le Prophète »), Salman Rushdie et les fameux « Versets sataniques », Michel Onfray pour qui « l’islam est un problème », etc.

    La législation va même être utilisée contre l’islam. En France, c’est la loi de 2004, appelée pudiquement « loi encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics », qui interdit de facto le port du voile islamique, dénoncé comme symbole d’oppression, de soumission, de manque de respect à l’égard de de la femme. C'est ainsi que de jeunes musulmanes qui se couvraient la tête ont été exclues de leurs écoles alors que certaines de leurs camarades y sont toujours admises avec des tenues dénudant le nombril. Comment peut-on imaginer que l’imposition du dévoilement pour rester scolarisée puisse se dérouler sans provoquer un sentiment de négation, de mépris et d’humiliation alors que, dans la plupart des établissements, les petites croix portées en pendentifs sont tolérées (car hypocritement considérées comme « non ostentatoires ») ? Les témoignages présents dans le livre « les Filles voilées parlent », paru en 2008, sont significatifs.

    Les derniers dérapages de Charlie hebdo ont constitué en quelque sorte la cerise sur le gâteau. Olivier Cyran (qui a travaillé de 1992 à 2001 à la direction de l’hebdomadaire satirique) n’y va pas par quatre chemins. « Le pilonnage obsessionnel des musulmans auquel Charlie hebdo se livre depuis une grosse dizaine d’années a des effets tout à fait concrets. Il a puissamment contribué à répandre dans l’opinion « de gauche » l’idée que l’islam est un « problème » majeur de la société française. Que rabaisser les musulmans n’est plus un privilège de l’extrême-droite », mais un droit à l’impertinence sanctifié par la laïcité, la république, le « vivre ensemble ». Et même, ne soyons pas pingres sur les alibis, par les femmes – étant largement admis aujourd’hui que l’exclusion d’une gamine voilée relève non d’une discrimination stupide, mais d’un féminisme de bon aloi consistant à s’acharner sur celle que l’on prétend libérer. Drapés dans ces nobles intentions qui flattent leur ignorance et les exonèrent de tout scrupule, voilà que des gens qui nous étaient proches et que l’on croyait sains d’esprit se mettent brusquement à débonder des crétineries racistes. À chacun ses références : la Journée de la Jupe, Elisabeth Badinter, Alain Finkielkraut, Caroline Fourest, Pascal Bruckner, Manuel Valls, Marine Le Pen ou combien d’autres, il y en a pour tous les goûts et toutes les « sensibilités ». Mais il est rare que Charlie hebdo ne soit pas cité à l’appui de la règle d’or qui autorise à dégueuler sur les musulmans. […] Ils ne manquent jamais de se récrier quand on les chope en flag : mais enfin, on a bien le droit de se moquer des religions ! Pas d’amalgame entre la critique légitime de l’islam et le racisme anti-arabes ! ». Olivier Cyran a écrit ce texte en décembre 2013, soit à peine plus d’un an avant l’attentat qui a décimé la direction de Charlie hebdo.

    Bien entendu, on n’aura pas échappé à une récupération politique de cette affaire. Les débats médiatiques et politiques n’ont eu de cesse de stigmatiser ces dernières années les musulmans en les amalgamant fréquemment à l’intégrisme, au djihadisme, au terrorisme, etc. Pourtant, les frères Kouachi et Coulibaly ne sont pas la production d’un produit étranger ou d’un certain islam (toutes les explications exclusives à une communauté sont inévitablement racistes). Ils sont au contraire le résultat des carences, des inégalités, des humiliations et des contradictions de la société française. Alors qu’un arsenal juridique impressionnant forme le dispositif français de lutte contre l’antisémitisme, alors que les formations de la droite extrême ont remplacé celui-ci par l’islamophobie, alors que les grands partis de droite et de gauche laissent régulièrement percer leur haine de l’islam et défendent les mesures prises par l’État (au nom de la laïcité ou de la défense des femmes), ce racisme ne rencontre pas la riposte qu’il mérite.

    Capitaine Martin


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  • Mur entre Israël et la CisjordanieLa nuit des 8 et 9 novembre 1989 reste un symbole de liberté en Europe. À la stupeur du monde entier, le mur qui coupait Berlin en deux depuis vingt-huit ans se fissure. La fin du « rideau de fer », selon l’expression instaurée par Churchill lors de son discours à Fulton le 5 mars 1946 a nourri l’espoir de la fin des divisions entre les peuples.

    Depuis, à l’heure de la mondialisation, de l’ouverture des frontières, de la libre-circulation, d’Internet, l’homme construit des dizaines de murs. Parfois longs de plusieurs milliers de kilomètres, barbelés ou électrifiés, atteignant parfois huit ou dix mètres de hauteur, à double paroi, gardés par des soldats, des caméras ou des drones de reconnaissance, souvent renforcés par des mines antipersonnel, les murs de séparation contemporains peuvent ne pas se montrer comparables dans leurs caractéristiques. Les plus fréquents relèvent du domaine sécuritaire, qu’il soit civil ou militaire. Ils ont été construits pour contenir l’immigration ou pour lutter contre la contrebande ou le trafic de drogue. Ils divisent les peuples et les cultures et ont pour point commun de ne jamais remplir totalement leur mission première. 

    Des milliers de kilomètres de frontières réputées infranchissables séparent aujourd’hui les États-Unis et le Mexique, l’Union européenne et l’Afrique (notamment entre l’Espagne et le Maroc, mais aussi tout le long des côtes méditerranéennes par une forme de blindage maritime, une mer blindée), l’Inde et le Bangladesh, l’Irak et l’Arabie saoudite, etc.

    En avril 2002, le gouvernement d’Ariel Sharon a décidé de construire un mur continu le long de la Ligne verte, ligne d’armistice de 1949 et frontière établie en 1967. Les Israéliens parlent de « clôture de sécurité » ou de « barrière de séparation », ou encore de « barrière antiterroriste » ou de « mur de la honte ». Pour Alexandra Novosseloff, la construction de ce mur ne suscite aucun état d’âme : « c’est un fait qui ne fait même pas l’objet de débats dans la société. Les organisations non gouvernementales qui combattent son tracé ou ses conséquences humanitaires n’ont pas remis en cause son principe même. Israël veut matérialiser sa séparation d’avec son voisin. Construire le mur, c’est entamer une séparation définitive dont les gouvernements israéliens étaient déjà convaincus quand ils construisirent une barrière de sécurité autour de la bande de Gaza ». Pour les Palestiniens, la construction du mur confisque leurs terres, les exproprie. « Des plaintes sont régulièrement déposées auprès de la Cour suprême israélienne. Rarement celle-ci a invalidé le tracé initial du mur ou celui imposé par les faits. De façon paradoxale, sans les Palestiniens, leur main d’œuvre, leurs entreprises, leurs carrières, ce mur n’aurait jamais vu le jour. 26.000 Palestiniens sont employés à sa construction ! ».

    L’anniversaire de la chute du mur donne chaque année lieu à de nombreux commentaires. Fin mai 2014, le Premier ministre ukrainien Arseni Iatseniouk a affirmé « qu’il n’y aura plus jamais de mur de Berlin en Europe ». En 1989, la complexité et l’ampleur des phénomènes de la mondialisation ne s’étaient qu’en partie manifestées. Les années quatre-vingt-dix et plus encore le début du XXIème siècle ont montré la face cachée de ce phénomène : le terrorisme, l’immigration, les inégalités, la criminalité, l’exclusion sociale, les luttes sociales, la pauvreté, mais aussi la financiarisation de l’économie, les guerres commerciales et l’érosion des droits des travailleurs sont autant d’aspects qui ont marqué les des dernières décennies.

    Les murs contemporains n’ont pas pour ambition de stopper les contacts avec les ressortissants de l’autre côté, comme c’était le cas du mur de Berlin. Ils se préoccupent d’enfermer dehors les indésirables. Il définit une communauté sociale et territoriale digne de protection et il définit également les catégories dangereuses dont il convient de se protéger. Il marque surtout un pouvoir de décision (décider de la séparation), un pouvoir de contrôle (contrôler le déplacement des autres) et un pouvoir de catégorisation (légitimer la séparation par la stigmatisation des réprouvés).

    Dernières en date, les enclaves urbaines fortifiées (les barrios privados d’Amérique latine, ou quartiers résidentiels surveillés). Ces dispositifs qui ont tendance à se répandre dans le monde entier supposent l’anticipation permanente d’une menace extérieure qui appelle le déploiement de techniques d’inspirations militaire et technique pour contrôler un territoire privatisé. Au sein de ce territoire, un mode de gouvernance privé tend à se substituer au gouvernement public.

    Les classes sociales s’isolent. Elles restent entre elles et n’ont même plus conscience d’être riches. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung a montré à quel point en Allemagne, il est facile de ne pas se rendre compte qu’on fait partie des plus favorisés. Au quotidien, les classes sociales supérieures ne rencontrent en effet guère de personnes différentes d’elles. Et leurs amis et leurs connaissances ont au moins autant d’argent qu’elles.

    On ne rêve pas d’être moins libre, plus pauvre, plus humilié, plus exploité, plus dominé, moins instruit… Pourtant, la précarité est déjà une réalité pour nombre de travailleurs, de privés d’emploi et de retraités, et la peur du déclassement n’a jamais été aussi prégnante chez les autres. Ceux qui pensaient qu’après 1989, après la désagrégation de l’URSS, c’était la fin de l’histoire ou dit autrement, la victoire définitive du capitalisme, commencent à déchanter. L’éternelle grande peur des possédants, des dominateurs cyniques, qui leur fait dire que tout doit changer dans l’univers de la finance pour que rien ne change dans l’univers capitaliste sont en train de prendre un coup derrière la tête.

    Capitaine Martin

     

    Les murs dans le monde


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  • McDonaldisationNée en 1937 dans une baraque à hot-dogs, la société McDonald’s est devenue depuis la plus grande chaîne de restauration rapide. Présente aux quatre coins du globe, son développement planétaire est déterminé par l’incroyable impulsion que cette marque parvient à avoir grâce à une publicité aussi trompeuse qu’omniprésente. Un clown, un logo simple et accrocheur, une nourriture pas chère, une atmosphère empreinte de gentillesse et de simplicité. De quoi donner à McDonald’s l’apparence d’une entreprise proprette. Mais la réalité est tout autre. Elle représente dans son ensemble le symbole du système dans lequel nous vivons : le capitalisme. Un système basé sur la production de masse, rendue possible par la libre circulation des marchandises et alimentée par une consommation frénétique à des fins essentiellement lucratives. Ce marché international est un des architectes de la mondialisation économique qui, lentement et subtilement, poursuit son œuvre d’annihilation des différences naturelles et culturelles. La nature dans son ensemble est la principale victime de ce monstre-marché : déforestation, abattage de masse des animaux et exploitation de l’homme.

     

    Des hectares et des hectares de forêts sont coupés chaque année, privant ainsi la terre de ses poumons pour faire place à des troupeaux d’animaux de boucherie et à des cultures de soja destinées aux industries de viande. Les conséquences pour les animaux sont dévastateurs : certains sont extirpés de leur habitat traditionnel pendant que d’autres sont condamnés à vivre dans des élevages industriels. Mais les humains ne s’en sortent pas mieux ; les tribus indigènes d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Inde paient ainsi très cher le coût du progrès. Leurs cultures, respectueuses de la planète, sont systématiquement détruites par les multinationales qui ne cherchent qu’à s’agrandir un peu plus… pour alimenter un peu plus le marché. C’est ainsi que cette politique alimentaire non durable (parce que motivée uniquement par des intérêts privés) aboutit à un déséquilibre paradoxal : alors que des personnes meurent encore de faim dans certaines parties du monde, dans d’autres le diabète et l’obésité sont un mal endémique. Le destin d’un enfant asiatique comme celui d’une forêt et d’un poulet sont plus que jamais dépendants de l’illogisme du système.

     

    Le processus d’américanisation défini par Georges Ritzer comme « la diffusion des idées, des coutumes, des habitudes sociales, de l’industrie et du capital américains dans le monde » voit dans la McDonaldisation son exemple le plus significatif. Pour le sociologue étatsunien, le principe du fast-food est amené à dominer des secteurs de plus en plus larges de la société, aux États-Unis et dans le reste du monde. C’est donc un processus profond et de grande envergure rendu possible par la reproductibilité des principes d’efficacité, de calculabilité, de prédictibilité et de contrôle. En ce sens, les machines tendent de plus en plus à remplacer l’être humain, et quand ce n’est pas possible, c’est l’homme lui-même, piégé par sa routine, qui peut devenir une machine. Cette métamorphose incarne l’essence du capitalisme : le passage du stade d’être vivant à celui de producteur, de consommateur et de marchandise. La déshumanisation signe, entre autres choses, la rupture définitive avec la planète, vue par les multinationales comme un énorme territoire à piller en vue d’accroître leurs propres richesses. L’équilibre terrestre, cette subtile et fragile harmonie, est ainsi régulièrement mis à mal par les intérêts financiers de quelques sociétés. La variété cède alors le pas à la globalisation, qui consiste à rendre les choses toujours plus égales à l’échelle mondiale.

     

    Toujours selon Ritzer, ce processus se heurte aussi à des irrationalités… produites par la rationalité elle-même. McDonald, comme Disney World, créent l’illusion de la distraction, de la quantité et du bon marché. Et l’irrationalité principale produite par ces systèmes est la déshumanisation. Ce système peut aussi devenir antihumain par son action sur la santé (mauvaise diététique des produits), par son action sur les travailleurs (taux d’absentéisme et turn-over élevés, haut degré de frustration), par son action sur les consommateurs traités comme des automates et engagés dans des relations impersonnelles et anonymes.

     

    McDonald a réussi à créer un monde à son image. Le caractère le plus inquiétant de l’hégémonie des multinationales est représenté par le fait qu’elles réussissent à défendre tranquillement leur logique perverse tout en rendant abruties des franges entières de la population. Aujourd’hui, le citoyen lambda ignore que derrière le clown Ronald d’apparence débonnaire se cache une véritable cruauté. Combien boycottent Nestlé, responsable entre autres choses de la déforestation de masse en Indonésie ? Combien refusent de chausser des Nike, entreprise faisant régulièrement travailler des enfants à l’autre bout de la planète ? Et qui voit Monsanto, le plus grand producteur d’aliments génétiquement modifiés, comme son propre ennemi mais aussi comme celui de la planète entière ? On pourrait aligner les exemples les uns après les autres. Pourtant, la résistance à ce processus, qui a pris aujourd’hui un caractère transversal, a réellement commencé. L’hebdomadaire The economist s’étonne de la défiance croissante des citoyens français vis-à-vis de leurs élites. Une minorité seulement d’entre eux déclare que « l’économie de marché est le meilleur système économique ». On retrouve, c’est naturel, la même défiance des Français vis-à-vis de l’Europe, ce mécontentement ayant tendance à s’étendre à d’autres pays européens.

     

    L’avenir ne s’arrête pas aux élucubrations des énarques, aux diktats des lobbies ou aux cures d’austérité de l’Union européenne. Quant à l’Oncle Sam, il ferait mieux de se rappeler que les historiens ne font que transcrire l’histoire… mais ce sont les peuples qui l’écrivent.

    Capitaine Martin. 


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  • Pillage de l'AfriqueOn risque un « génocide » en République centrafricaine. L’alarme a été donnée par la France qui, après des mois de silence, a demandé en toute hâte à l’ONU d’agir rapidement. La situation dans ce pays est dramatique. Les rebelles de la Seleka, responsables du coup d’état du 24 mars, ont saccagé le pays, commettant les pires atrocités : pillages, exécutions sommaires, viols et tortures sur les populations civiles.

    Livrée à elle-même, la population a répondu du mieux qu’elle pouvait en organisant les milices paysannes, les fameux anti-balaka (anti-machettes). Il y a déjà eu des affrontements violents et des centaines de morts. Aujourd’hui, on parle d’un conflit interethnique entre chrétiens et musulmans. Rien n’est plus faux. Les deux groupes ethniques sont victimes d’un même ennemi : la coalition Seleka, qui a pris le pouvoir dans l’indifférence de la communauté internationale.

    En décembre 2012, l’ancien-président déchu, François Bozizé, avait demandé l’aide des États-Unis et de la France en vue de stopper les rebelles, mais François Hollande avait refusé d’intervenir dans l’ancienne colonie, arguant que la France ne pouvait agir que sous mandat de l’ONU. Le locataire de la Maison blanche avait avancé à l’époque le même argument.

    Aujourd’hui, la France fait valoir que la Centrafrique est catastrophique. Selon les États-Unis, la situation y est « pré-génocidaire ». Pourquoi me direz-vous ne pas avoir entamé quoi que ce soit plus tôt ? Tout simplement parce que la situation n’était pas mure. La France prétend aujourd’hui jouer le rôle de bon samaritain vis-à-vis de la République centrafricaine dont on sait qu’elle est riche en uranium, en pétrole, en or, en diamants et en bois. Et elle peut aujourd’hui le faire avec le feu vert de l’ONU.

    Lundi dernier (25 novembre, NDLR), le vice-secrétaire général des Nations Unies, Jan Eliasson a agité à son tour le spectre d’un « conflit ethnique et religieux » et a appelé à une réaction rapide et décisive pour éviter que la situation n’échappe à tout contrôle, ce qui représenterait un terreau fertile aux extrémistes et aux groupes armés.

    Durant la réunion dédiée à l’ancienne colonie française, les quinze pays membres du conseil de sécurité se sont mis d’accord pour autoriser la force panafricaine présente en Centrafrique (Misca) à se déployer pour une période initiale de six mois. L’objectif officiel est d’essayer de renforcer la sécurité et de protéger les civils. Il n’est pas exclu que la Misca se transforme à terme en opération de maintien de la paix avec à la clé le déploiement de Casques bleus.

    Les Nations Unies ont autorisé les forces françaises déjà présentes en République centrafricaine à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la Misca. Invité sur Europe 1 le 26 novembre, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a officiellement annoncé l’envoi d’un millier d’hommes sur le terrain. « La France appuiera cette mission africaine, de l'ordre d'un millier de soldats », a-t-il déclaré. « Nous le ferons en appui et non pas en entrée en premier, comme nous avons pu le faire pour le Mali, et pour une période brève, de l'ordre de six mois à peu près », a ajouté le ministre.

    La France interviendra donc militairement. Mais en faveur de qui ? D’un gouvernement lui-même issu d’un putsch. La France n’est pas à une contradiction près. En revanche, lorsque des intérêts économiques majeurs sont en jeu, la logique est remisée au placard. Comme on peut le lire sur le site officiel du ministère des affaires étrangères, l’Élysée a directement en ligne de mire les ressources naturelles de son ancienne colonie : « En dépit de l’instabilité politique et des risques sécuritaires, Air France, Bolloré (logistique et transport fluvial), Castel (boissons et sucre), Total (stockage et distribution des produits pétroliers), CFAO (distribution automobile) ont maintenu leurs implantations en RCA. L’arrivée en 2007 de France Télécom dans la téléphonie mobile marque un certain intérêt des investisseurs français. Les pillages consécutifs à la prise de Bangui par les rebelles le 24 mars ont fortement perturbé l’activité des entreprises françaises ».

    Grâce à l’intervention militaire, la France peut maintenant achever le sien.


    Capitaine Martin


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  • Irak dix ans aprèsDix ans ont passé depuis l’invasion de l’Irak par les États-Unis. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les objectifs officiels de l’époque, à savoir la libération du peuple irakien de l’oppression de la dictature de Saddam Hussein pour en faire un pays moderne et démocratique, ont lamentablement échoué. Pis, c’est chaque jour un peu plus le chaos dans un pays en ruine.  

     

    Les chiffres parlent malheureusement d’eux-mêmes. Ce sont ainsi plus de 4.700 personnes qui ont perdu la vie dans des attentats depuis le début le l’année. 638 victimes sont à inscrire sur le compte du seul mois d’octobre. Personne n’est en mesure de déterminer exactement combien de personnes ont été tuée en Irak depuis l’invasion étasunienne. Selon une enquête menée conjointement par le gouvernement iraquien et l’Organisation mondiale de la santé, 151.000 Irakiens seraient morts de mort violente entre mars 2003 et juin 2006. Les Nations-Unies ont confirmé qu’en 2006 (dernière année où les données sont réputées fiables), au moins 35.000 personnes avaient été tuées.

     

    Dix ans ont passé. Les media occidentaux semblent avoir perdu tout intérêt pour l’Irak, se concentrant sur des sujets plus consensuels ou attrayants. Entre les rives du Tigre et de l’Euphrate, au cœur du Moyen-Orient, une longue et laborieuse transition démocratique est en train de prendre forme depuis la fin officielle de la guerre, le 1er mai 2003.

     

    Un parcours non sans obstacles tant sont nombreuses les contradictions de l’Irak moderne. Le pays est divisé par une guerre civile féroce entre fractions sunnites et chiites. La violence s’est intensifiée après que les forces de sécurité ont violemment réprimé le 23 avril dernier une manifestation sunnite contre le gouvernement, provoquant la mort de dizaines de personnes. Cet épisode a provoqué la réaction des sunnites, qui se sentent marginalisés par le gouvernement chiite. Les milices d’al-Qaïda tentent de tirer profit de la situation, ce qui touche par ricochet le gouvernement.

     

    Les forces d’intervention étasuniennes n’ont jamais vraiment réussi à stabiliser la situation, allant parfois jusqu’à s’engager dans des opérations contraires au droit des conflits armés. Elles ont ainsi utilisé en novembre 2004 des armes chimiques lors de l’assaut de la ville de Falloujah, considérée par les troupes américaines comme un bastion d’insurgés sunnites. Un an plus tard, une folle équipée de Marines tuaient à Haditha vingt-quatre civils irakiens sans défense. Difficile d’apparaître dans ces conditions comme des libérateurs animés des plus nobles sentiments…

     

    Ni les États-Unis, ni même les Nations-Unies n’ont porté un intérêt suffisant à l’actuel gouvernement irakien du Premier ministre Nouri al-Maliki, rongé par la corruption, par la répression et par la longue série de violations des droits humains. Les forces de police, contrôlées par les ministères de l’intérieur et de la défense, sont intervenues massivement entre la fin 2011 et mars 2012 avant un sommet de la Ligue arabe à Bagdad, et ont arrêté des centaines de personnes manifestant contre le gouvernement comme une mesure pour prévenir d’éventuels attentats terroristes. L’ONG étasunienne Human Rights Watch a critiqué très sévèrement dans son rapport annuel le nouvel Irak, l’accusant de devenir un état policier. Plusieurs détenus ont même témoigné avoir été torturés.

     

    Rien d’étonnant à ce que la peine capitale soit dans ce contexte un sujet brûlant. Au moins 125 personnes ont été exécutées depuis le début de l’année ; quarante-deux l’ont été la semaine où on a célébré la journée mondiale contre la peine de mort. Amnesty international fait notamment remarquer qu’en violation des normes internationales, la loi institue la peine de mort pour certaines infractions dont on ne peut considérer qu'elles entrent dans la catégorie des crimes les plus graves, notamment l'enlèvement n'entraînant pas la mort. La peine capitale est ainsi devenue pour le gouvernement un moyen d’asseoir sa mainmise sur le pays.

     

    Le bilan qu’on peut tirer de ces dix années en Irak ne peut être que négatif. L’intervention étasunienne n’a pas apporté que la misère et et la corruption. Il n’y a pas un eu un jour depuis 2003 sans que le pays ne perde une vie des suites des violences terroristes. Si c’est ça le modèle de démocratie que l’Occident s’évertue à exporter depuis des décennies, il n’y a vraiment pas de quoi s’émerveiller tant l’échec de ce système politique, économique et social, est patent.

    Capitaine Martin


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